Dans le monde à venir, le corps Sensible reprendra t-il ses droits ?

CIRET
Auteur(s) :

Margarita Zuber - Master en psychopédagogie de la perception, somato-psychopédagogue, animatrice formatrice

Contribution au débat organisé par Basarab Nicolescu, Président d’honneur du CIRET, en réponse au Covid-19 “Que ferons-nous de cette épreuve ?”

En ce temps de confinement qui se prolonge, j’ai fini, comme beaucoup je suppose, par me résoudre à trier les documents accumulés depuis des années.

Au cours de cette tâche incontournable, je suis tombée sur un dossier dans lequel étaient précieusement conservées les évaluations que j’avais l’habitude de faire faire à mes élèves à l’époque où j’enseignais l’Espagnol.

Je me replongeais dans leurs témoignages, principalement centrés sur les exercices que je leur proposais de pratiquer en cours et qu’ils nommaient COURS-CORPS : commencer par s’offrir un moment de silence et percevoir les effets de celui-ci sur son corps, son esprit et son environnement ; faire un moment d’arrêt pendant les interactions pour se donner le temps de mieux évoquer et intégrer les apprentissages ou finir par un moment de retour à soi pour laisser émerger des questions ou des nouvelles perspectives...

Guidée par des chercheurs avant-gardistes tels que A. de la Garanderie, B-M.Barth et Danis Bois, ma recherche et pratiques visent à inclure dans le champs de l’éducation et de la formation la dimension corporelle et perceptive de soi (2), qui a été artificiellement écartée des autres dimensions éducatives.

Le témoignage de ces collégiens et lycéens est éloquent. Les retrouver aujourd’hui au fond de mes archives, dans ce contexte et moment particulier, n’est certainement pas dû au hasard. Leurs mots, leur acuité, leur sensibilité me confortent dans cette nécessité qui prend encore plus de sens et de force en ces temps de pandémie : incorporer des ressources pédagogiques qui répondent au besoin des jeunes de faire face aux défis actuels et de contribuer activement à ceux du monde à venir.

  • « Grâce aux « cours corps » je me suis senti plus détendu, plus présent et attentif, reposé. L’atmosphère est calme, c’est donc plus facile de se concentrer. Cela est vraiment utile. »
  • «J'ai l'impression que le mental et le corps sont en relation. Lors de la séquence sur l'écologie, je me suis senti vraiment concerné par la pollution et j'ai pris conscience que je dois agir.»
  • « Les exercices aux différents moments de la séance m’ont permis de me relaxer. Par rapport à d’habitude, tout le monde était plus calme mais au même temps on a pu apprendre beaucoup de choses. »
  • « Cela m’a permis de prendre du recul sur mon être et de me sentir plus proche de moi. On est plus à l’écoute et le groupe est plus soudé. »
  • « Je dois avouer que les exercices ne m’emballaient pas au début, jusqu’à ce que je stress hier avant mon oral de Français ! J’ai donc décidé de faire quelques exercices que nous avions appris et ils m’ont beaucoup aidés! »

Les élèves de collège sont également capables, non seulement de sentir leur état, mais aussi de mettre des mots sur leurs ressentis :

  • « J’ai beaucoup apprécié ces moments d’arrêt qui me permettaient de prendre une pose quand je devais assimiler trop de choses. »
  • «Les exercices au début du cours m’on permis de me calmer et de profiter du silence, ça met les idées plus au clair et les cours sont aussi moins bruyants, plus reposants et au même temps nous avons pu retenir plus facilement les leçons.»
  • «Les exercices pendant le cours m’ont permis de me détendre et apprendre à me relaxer toute seule avant les contrôles.
  • "J’aurais aimé faire cela dans toutes les matières, cela permet d’être moins excitée pour mieux écouter le cours, mieux le comprendre et s’améliorer.

Ils ont pu constater qu’un changement dans leur rapport au corps peut les conduire à de nouvelles perceptions, à de nouvelles représentations et de nouvelles références. Qu’une nouvelle perception de l’espace et du temps, du mouvement, de l’interrelation humaine peut changer leur rapport à eux-mêmes, aux autres et au monde. Qu’une approche qui tient compte de la personne dans son corps et son esprit lui permet d’apprendre à se ressentir, à penser et à donner du sens à son expérience.

En ces temps de confinement, voilà que ce minuscule virus est en train de nous donner une leçon dont l’apprentissage ne se fait plus en cours, dans une salle de classe, ni même au travers des plateformes éducatives récemment mises en place sinon justement, et c’est là toute l’ironie, par l’intermédiaire de ce qui avait été délaissé : ce rapport au corps, rapport devenu plus pressant et plus présent.

Cette pandémie nous permet de découvrir que maintenant que notre corps est menacé, « je suis obligé de m’en occuper et de le protéger. » De nous rendre compte que « j’ai besoin de ce corps, dont je me sers constamment, sans tenir compte de son état. »

« Le rester à la maison », au-delà des conséquences inévitables des sensations d’enfermement et parfois d’angoisse, peut me permettre de revenir à moi, de rentrer dans mon cocon, de méditer, de sentir l’état de mon corps : ses tensions, ses crispations, sa détente ou sa tranquillité. Lorsque ma vie se déroule à un autre rythme, loin de l’agitation, percevoir par contraste et discerner à travers ce Corps Sensible : «caisse de résonance de toute expérience, perceptive, affective, cognitive ou même imaginaire» ce qui change dans ma matière, dans mes émotions et dans mes pensées. M’apercevoir, peut-être aussi, de l’existence d’un système interne intelligent qui peut s’autoréguler, dès lors que je lui laisse la possibilité de faire son travail dans de bonnes conditions.

En somme, cette crise sanitaire nous impose un arrêt forcé qui nous permet de découvrir la lenteur et parfois même une forme de paralysie qui met à mal la dynamique habituelle. C’est dans cette rencontre des opposés que réside, d’après Bois, la force de résilience de la personne, où le corps et la vie psychique sont associés et d’où peut émerger une nouvelle direction, un nouveau sens.

Souhaitons que ce que la vie nous enseigne dans ces circonstances exceptionnelles soit le tournant paradigmatique où le cerveau logique laisse la place à une intelligence préréflexive ancrée dans le corps sensible, ce temple de l’homme qui abrite Le Vivant. C’est au fond le chemin proposé il y a presqu’un demi siècle par Francisco Varela (3) où le Spirituel trouve son inscription dans le corps, dans lequel les processus sensoriels, moteurs, perceptifs et la connaissance qui en émerge sont fondamentalement reliés à l’action. C’est ce que j’ai essayé d’illustrer en reprenant « l’Homme de Vitruve »

Processus de Co-Naissance du sujet corps-cerveau et de l’objet dans son environnement. 

Ce nouveau rapport à soi permet également d’entrer en empathie avec les autres. Une empathie ancrée dans un lieu perceptif commun qui invite à créer des liens de réciprocité avec son entourage et appelle à l’engagement éthique et politique.

Œuvrons donc pour inclure dans l’éducation la dimension corporelle et perceptive de soi en proposant aux enseignants des ressources pour accompagner les jeunes à se préparer à des situations imprévues, dont nous savons qu’elles seront de plus en plus éprouvantes. Avec le corps sensible comme médiateur de l’apprentissage nos jeunes seront prêts, et c’est ardemment que je souhaite pour ma part y contribuer en continuant à accompagner des jeunes tout comme des adultes dans leur quête identitaire et recherche d’accomplissement. Aujourd’hui, cette quête est un pilier pour les aider à affronter avec confiance les défis qu’ils rencontreront.

Margarita Zuber

Sources: 

Contribution au débat organisé par Basarab Nicolescu, Président d’honneur du CIRET, en réponse au Covid-19 “Que ferons-nous de cette épreuve ?” https://ciret-transdisciplinarity.org

1. : Danis Bois fondateur de la Fasciatherapie, à crée une pédagogie basée sur le nouveau paradigme du Corps Sensible. Fondateur du CERAP
2 : Etude des incidences d’un accompagnement formation à médiation corporelle. Master en Psychopédagogie Perceptive, UFP Porto - 2015 https://bdigital.ufp.pt/bitstream/10284/5655/1/DM_Margarita%20Zuber.pdf
3 : L’inscription corporelle de l’Esprit, Sciences cognitives et expérience humaine, Seuil 1993, coll. La couleur des Idées.