Accompagnement en somato-psychopédagogie et renouvellement du rapport à soi [Isabelle Bertrand]

Auteur(s) :

Isabelle Bertrand - Docteure en sciences sociales, formatrice et chercheure en thérapie des fascias et pédagogie perceptive

Professeur auxiliaire invitée de l'UFP, secétaire du CERAP

L’objectif de cet article est de présenter les principaux résultats de ma recherche de Mestrado en Psychopédagogie Perceptive, soutenue en juin 2010.

Contexte de la recherche : la question de l’accompagnement – une préoccupation

Durant tout mon parcours de professionnelle de la santé, kinésithérapeute, j’ai souhaité pratiquer mon activité auprès de personnes souffrant de maladie chronique. Face à cette population de personnes, j’ai dû faire évoluer ma pratique, passant progressivement du paradigme du soin au paradigme de la formation. Cette évolution professionnelle a été marquée par les formations que j’ai réalisées en fasciathérapie et en somato-psychopédagogie. Ces approches m’ont formée au « toucher de relation »1, qui permet l’accès à la demande du corps de la personne, et à une pédagogie du rapport au corps innovante. Cette pédagogie, riche de quatre instruments pratiques, est un véritable modèle d’accompagnement du processus d’apprentissage de la personne par sa progressivité et son adaptabilité à la temporalité de la personne. Un accompagnement qui vise à la fois une dynamique d’apprentissage par le média du corps et une dynamique de changement de rapport au corps et plus largement à soi. C’est sur cette thématique qu’a portée mon questionnement de recherche.

Réalisant cette étude dans une posture de praticien-chercheur2, mon contexte professionnel du moment est une pratique de somato-psychopédagogue, en cabinet libéral, accompagnant des patients (le plus souvent en prise avec une maladie chronique) avec tous les outils de la somato-psychopédagogie. Je propose à mes patients différentes modalités de soin, de formation et d’accompagnement : de la pratique manuelle en individuel, des pratiques gestuelles et introspectives en individuel ou en groupe, des espaces de parole, des temps de réflexion sur soi et des séminaires de deux jours d’accompagnement plus intensif.

J’ai observé que les outils d’intervention pratique de la somato-psychopédagogie ont tous un impact sur le renouvellement du rapport à soi, mais ils semblent « agir » de manière différente. Cette observation a suscité, pour moi, plusieurs questionnements à l’origine de ma recherche : le renouvellement du rapport à soi que j’observe chez mes patients est-il le résultat de l’association de ces différents outils d’intervention pratique ? Si oui, de quelle nature de rapport à soi parle-t-on ? Quelles sont les spécificités de chaque outil pris individuellement ? Et enfin, comment les patients décrivent le processus qu’ils rencontrent dans cet accompagnement à médiation corporelle ?

Afin de répondre à mes questionnements, j’ai d’abord étudié la littérature du domaine de l’accompagnement, très riche dans les domaines de la psychologie, de la psychosociologie ou de la formation. J’ai recensé, dans ces domaines et dans le domaine de la somato-psychopédagogie, de nombreuses études sur l’accompagnement de patients ou de personnes en formation, mais je me suis rendu compte qu’aucune n’aborde la question de la spécificité des différents outils d’intervention pratique de la somato-psychopédagogie, ni de leur impact sur le renouvellement du rapport à soi. Ma recherche trouvait ici sa pertinence professionnelle et scientifique, elle peut ainsi apporter une contribution à la communauté des professionnels et des chercheurs du domaine de l’accompagnement de la personne.

Dans cet article, après avoir présenté ma question et mes objectifs de recherche, je situe le contexte théorique dans lequel j’ai effectué ce travail puis je présente les résultats obtenus dans cette étude menée auprès de trois patients suivis en somato-psychopédagogie, qui ont souffert de maladie chronique, en pratique libérale, et enfin mes réflexions actuelles sur cette recherche et quelques perspectives.

Question de recherche et objectifs

C’est dans ce contexte, professionnel et scientifique, que j’ai formulé ma question de recherche : En quoi et comment l’accompagnement en somato-psychopédagogie participe-t-il au renouvellement du rapport à soi ?

J’organisais ma recherche selon trois objectifs :

  • Identifier les conditions et la nature de l’accompagnement en somato-psychopédagogie
  • Comprendre le processus à l’œuvre dans cet accompagnement
  • Dégager les impacts des différents instruments pratiques de la somato-psychopédagogie sur le renouvellement du rapport à soi.

Contexte théorique

Comme ma recherche portait principalement sur l’accompagnement en somato-psychopédagogie et les impacts de ses différents instruments pratiques, j’ai choisi, comme postulat de départ, de poser le type de renouvellement du rapport à soi ciblé par ma

recherche. Dans mon contexte théorique, il est basé sur le modèle du Moi renouvelé de D. Bois (2006), qui le définit ainsi : « il s’agit d’un Moi qui se construit sur la base de rapports éprouvés et conscientisés que la personne entretient avec son corps avec ses actions et avec autrui » (Bois, 2006, p. 43). Nous pouvons entrevoir ici un renouvellement du rapport à soi comme un renouvellement de différentes formes de rapport, notamment celui du rapport au corps. C’est une de mes hypothèses de recherche. Et, comme je le présenterai dans cet article, mes résultats de recherche ont enrichi cette thématique.

La contextualisation de ma recherche a donc porté sur le thème de l’accompagnement. Je me suis appuyée sur les nombreuses données actuelles sur ce thème. J’ai ensuite spécifié les contours de l’accompagnement en somato-psychopédagogie, ce qui m’a permis de faire un état des lieux, non exhaustif, des connaissances actuelles dans ce champ.

Les données actuelles sur le thème de l’accompagnement

Les pratiques d’accompagnement se sont largement déployées depuis les années 1960. Selon les travaux de G. Le Bouëdec, la nécessité de ces pratiques est due au contexte de crise de notre société, il parle de la perte d’intégrateurs comme la religion, la famille, le travail, etc. Cette perte conduit la personne à développer sa singularité et à apprendre à « se tenir debout seul » (Le Bouëdec, 2003, p. 15). M. Paul argumente aussi dans ce sens : « l’accompagnement est contemporain du délitement du lien social » (Paul, 2004, p. 7) mais il répond aussi à une demande de performance « une injonction de performance, d’excellence » (Ibid.). C. Singer va plus loin et aborde la question de la rupture des relations humaines qui, pour elle, crée une « anesthésie du cœur » (Singer, 2001, p. 117). La perte du rapport à l’humanité de l’autre crée une rupture avec soi. Il est clair que le besoin de l’individu de se construire autrement est réel. Beck développe cette notion : « l’individu doit apprendre à se considérer lui-même comme un centre décisionnel, un bureau d’organisation de sa propre existence » (Beck, 2003, p. 291). La question de la construction de l’individu est clairement posée. Cependant, nous pouvons nous questionner sur le rôle du lien social, ne peut-on pas envisager que l’absence de rapport à soi soit en partie la cause de la rupture avec la collectivité et la communauté humaine ? C’est à cette question que tente de répondre la somato-psychopédagogie.

Qu’est ce qu’accompagner une personne ou un patient ? Je rejoins ici le questionnement de M. Paul : « Comment comprendre ce qu’on entend par accompagnement dès lors que chaque pratique change selon les objectifs, le public et le style du professionnel ? » (Paul, 2003, p.9). Sans répondre à cette question, elle nous donne des pistes de réflexion. Tout accompagnement nécessite un projet, véhicule un processus : « un processus : non linéaire, séquentiel (…) » (Paul, 2003, p.53), prend appui sur un cadre précis « un cadre méthodologique et des outils : adaptables et multiples … » (Ibid.) et nécessite une posture professionnelle spécifique, adaptable : « le professionnel s’ajuste à chaque situation ; l’accompagnement, selon la formule, s’invente “chemin faisant » (Ibid.). La relation d’accompagnement est une notion essentielle : « la relation pourtant centrale n’y est pas instaurée pour elle-même » (Ibid.).

Comme le dit M. Paul, l’accompagnement est de nature protéiforme (ibid.), aussi différent qu’individuel, il s’applique à une personne, dans un contexte, face à une situation et avec des potentialités et des limites du moment. Dans le domaine de la santé, l’accompagnement du patient est devenu une priorité. La politique de l’OMS concernant la mise en place de modèles d’éducation thérapeutique3 du patient (1998) en est l’illustration. Face à cette multiplicité de formes d’accompagnement, il me semble important de présenter dans ce qui suit les spécificités de l’accompagnement en somato-psychopédagogie.

L’accompagnement en somato-psychopédagogie

La somato-psychopédagogie, selon D. Bois : « invite à s’entretenir avec soi même, à se regarder regardant le monde, à se ressentir en se percevant (…) fait appel à une véritable virtuosité introspective, grâce à laquelle la personne peut découvrir sa véritable place et participer pleinement à l’œuvre de sa vie » (Bois, 2006, p. 22). Cette définition laisse apparaître la somato-psychopédagogie comme une approche visant le retour à soi, la discussion avec soi, et développant de nouvelles capacités perceptives permettant au patient de devenir acteur-auteur et spectateur de sa vie.

D. Bois va plus loin et pose une question essentielle, qui détermine la spécificité de l’approche en somato-psychopédagogie : « L’homme (…) est-il prêt à changer la relation qu’il a avec sa vie à partir du renouvellement de la relation à son corps ? » (Bois, Austry, 2007, p.7). En effet, l’accompagnement en somato-psychopédagogie a ceci d’original qu’il s’adresse, en premier lieu, au corps, plus particulièrement au rapport que la personne entretient avec son corps.

Afin de questionner ce rapport au corps, le somato-psychopédagogue s’emploie à créer les conditions d’une expérience du corps extra-quotidienne4, inédite, perceptive et porteuse de sens. Cette expérience corporéisée inédite proposée est d’abord l’expérience d’une force d’autorégulation du Vivant, appelée mouvement interne. Ce terme n’est pas spécifique à la somato-psychopédagogie mais, dans ce cadre, il représente le support de la potentialité perceptive et de la subjectivité sur laquelle le processus de changement prend appui : « Le mouvement interne est pour nous, l’ancrage premier d’une subjectivité corporéisée. Sous ce rapport, le sujet découvre un autre rapport à lui-même, à son corps, et à sa vie, il se découvre Sensible, il découvre la relation à son Sensible5 » (Bois, Austry, 2007, p. 7).

Dans la rencontre intériorisée avec ce mouvement subjectif et avec soi, la personne peut s’engager dans un processus de renouvellement. Ce processus a été décrit selon les modalités de reconfiguration des représentations par l’intermédiaire du concept de modifiabilité perceptivo-cognitive (Bois, 2001 ; Berger, 2006 ; Large, 2007). Ce modèle propose un principe d’apprentissage spécifique qui s’engage à partir d’un vécu corporéisé. D. Bois le définit ainsi : « Le modèle de la modifiabilité perceptivo-cognitive explicite le processus par lequel la personne est invitée à vivre une expérience corporelle, à éprouver les effets de son ressenti et à engager une réflexion autour de son vécu afin de faire évoluer sa capacité de perception, de réflexion, d’adaptation et de compréhension d’elle-même, du sens de sa vie et de ses expériences et aussi pour l’aider à résoudre ses problèmes (mal être, perte de sens…) » (Bois, 2001, p. 23). Ma recherche questionne en profondeur ce processus.

Après avoir entrevu le questionnement essentiel de la somato-psychopédagogie et abordé le processus à l’œuvre, je souhaite maintenant spécifier la posture professionnelle du somato-psychopédagogue et le mode de relation sur lequel l’accompagnement repose.

En tant qu’accompagnant, le somato-psychopédagogue adopte une posture ajustée (Paul, 2003) en permanence au patient. Le modèle de l’advenir6 offre au praticien une solution pour qu’il puisse être résolument ajusté à la personne et tourné vers sa potentialité. D. Bois décrit ainsi l’advenir : « lorsqu’on se situe dans le lieu de l’advenir, le futur apparaît comme étant porteur d’une masse d’informations à venir qui, au moment où elles sont saisies, participent au renouvellement du sens à propos d’une problématique présente ou passée. » (Bois, 2009, p. 13). Pour le somato-psychopédagogue, il est clair que le patient perçoit, agit et réfléchit avec les informations qu’il a à sa disposition (ce qu’il connaît). Son projet est alors de permettre à la personne d’accéder à de nouvelles informations (perceptives, relationnelles et réflexives) par le biais de propositions pratiques expérientielles7.

Comme nous l’avons vu précédemment, la relation d’accompagnement est primordiale. Pour le somato-psychopédagogue, cette relation s’appuie sur l’empathie sous le mode de la réciprocité actuante. H. Bourhis la définit ainsi : « La réciprocité actuante est une qualité de relation particulière qui apparaît au moment où deux personnes entrent en relation avec elles-mêmes au cœur de leur subjectivité corporéisée dans l’enceinte d’une relation d’aide » (Bourhis, 2007, p. 294). Cette forme de relation impliquée et corporéisée permet, aux deux acteurs d’être centrés sur l’advenir et la potentialité en lien avec les phénomènes du Sensible.

Posture épistémologique et méthodologie de recherche

C’est à partir d’une posture de praticien-chercheur du paradigme du Sensible8 que j’ai effectué cette recherche. Cette posture me permet d’interroger des patients grâce à la méthodologie d’inspiration compréhensive. Afin d’accéder au point de vue des patients en première personne, j’ai fait le choix d’utiliser un guide d’entretien de recherche à directivité informative9, l’entretien étant pratiqué dans les conditions de réciprocité actuante. Ce guide d’entretien était ciblé sur le renouvellement du rapport à soi, les différents aspects de l’accompagnement en somato-psychopédagogie et les spécificités des différents instruments pratiques.

Les participants, à cette recherche, étaient soumis aux conditions d’inclusion suivantes : les personnes sont accompagnées, régulièrement, par les quatre instruments pratiques principaux de la somato-psychopédagogie (relations d’aide manuelle, gestuelle, introspective et verbale) depuis au moins un an. Le petit nombre de participants m’a permis de réaliser une étude en profondeur des entretiens mais ne me permet pas de faire une généralisation des résultats. Cette recherche est donc une étude exploratoire.

Pour opérer mon analyse, j’ai procédé par étapes : une analyse classificatoire des données suivies d’un récit phénoménologique, puis d’une analyse herméneutique cas pour cas et enfin d’une analyse herméneutique transversale.

Résultats de recherche

Pour les besoins de cet article, je présenterai mes résultats sous forme de schéma qui donne une vision synthétique de ceux-ci.

Afin de répondre à la question « Comment l’accompagnement en somato-psychopédagogie participe au renouvellement du rapport à soi ? », je présente deux résultats. Le premier présente le processus à l’œuvre dans cet accompagnement, le second décrit les spécificités et complémentarités des différents instruments pratiques. Enfin, le modèle du renouvellement pluriel des rapports à soi construit à partir de ces résultats viendra ensuite répondre à la question de recherche.

Processus à l’œuvre dans cet accompagnement

Un des résultats de ma recherche concerne le processus à l’œuvre dans l’accompagnement en somato-psychopédagogie, j’ai pris la liberté de revisiter ce processus sous l’angle qui est apparu dans l’analyse de mes données. Le diagramme de la figure 1 présente ce processus tel qu’il m’est apparu dans l’interprétation des données et deux dimensions constitutives de ce processus.

Processus à l’œuvre dans l’accompagnement en somato-psychopédagogie

La première phase présente les différentes formes d’enrichissement vécues par les participants à ma recherche. Ils décrivent un enrichissement perceptif (notamment en lien avec la perception de soi à travers le mouvement interne), un enrichissement cognitif (en lien avec la découverte de nouveaux compréhensifs, nouvelles pensées : « Ça m’apprend effectivement qu’on peut faire beaucoup de choses dans la lenteur tout en étant efficace »10) et un enrichissement relationnel (découverte d’un nouveau mode de relation selon la réciprocité actuante).

La seconde phase est celle du renouvellement. L’enrichissement est ici entrevu comme élément constitutif du renouvellement, il le précède et l’impulse. Les patients témoignent d’un renouvellement des rapports au corps, au psychisme, à la connaissance de soi et au quotidien en lien avec de nouvelles connaissances (perceptives, cognitives et relationnelles). La première phase crée une richesse de nouveautés vécues qui permettent aux personnes de faire évoluer leur rapport à elles-mêmes. Pour prendre un exemple, une personne témoigne qu’elle se trouvait en conflit avec elle-même. Ce conflit a trouvé sa résolution dans la rencontre avec son propre corps : « J’ai vraiment appris que j’avais un corps » et avec elle même : « maintenant, je vais me ressourcer dans mon intérieur ». Il est clair que la rencontre avec son corps, lui permet de renouveler sa manière d’être à elle-même.

La troisième phase décrite est celle du changement d’attitude, de comportement. Il apparaît que, sous l’impulsion du renouvellement, la personne découvre une nouvelle possibilité d’agir, d’être en relation et d’être au monde. Par exemple, une participante témoigne de sa nouvelle capacité à parler publiquement : « (…) par exemple, je n’aurais pas été capable de parler à plus d’une personne ou deux avant, parce que j’étais extrêmement gênée (…) maintenant je suis amenée à parler devant des groupes de mille personnes (…) ». Il est clair pour elle que, cette nouvelle capacité vient d’une nouvelle confiance en elle (nouveau rapport à elle) et de ce qu’elle a rencontré dans l’accompagnement en somato-psychopédagogie : « (…) quelque chose de très puissant, très, très fort comme un volcan mais très doux… très moelleux, puissance et… douceur, ... force et douceur… ».

En complément de ces trois phases, deux dimensions importantes apparaissent dans ce processus, les notions de sujet et de connaissance par contraste. En effet, la place du sujet apparaît essentielle entre les phases d’enrichissement et de renouvellement. Le terme sujet est ici employé dans son sens philosophique : « Le quatrième sens du mot sujet est un sens proprement philosophique : le sujet désigne l’individu capable de pensée et de conscience, et capable de se représenter lui-même (par la réflexion) cette pensée (…) » (Tomès, 2005, p. 9). Si l’on se réfère à cette définition, sans « sujet », l’enrichissement reste passif, comme une réserve de connaissances ou de perceptions inutiles. Le sujet s’engage dans son processus de changement en choisissant de modifier son rapport à … Nous retrouvons cette part active de la personne dans ce témoignage : « (…) il y a un mode de fonctionnement depuis 42 ans que je dois corriger ».

La connaissance par contraste, mise en évidence par D. Bois (2007), est un phénomène important du processus qui permet le passage de la phase de renouvellement à celle de changement. En effet, c’est par la connaissance d’un nouvel état intérieur que la personne perçoit, par contraste, son état antérieur et peut s’engager en conscience dans son changement d’attitude ou de comportement. Prenons un exemple concernant le rapport au corps : « j’ai pris conscience que j’avais un corps (…) j’avais aucun rapport à mon corps, tout était dans ma tête (…), il faut que j’en fasse quelque chose (…), à chaque fois que je ressens quelque chose, pour moi, il me parle (…) » (p. 79). Nous voyons bien ici la part active de la personne dans son processus et le mode de connaissance par contraste qui lui permet ce changement.

Spécificités et complémentarités des différents instruments pratiques de l’accompagnement en somato-psychopédagogie

Comme je le présentais en introduction, j’ai souhaité prendre la mesure de l’importance des différents instruments pratiques dans le processus de changement. En les étudiant en profondeur, je me suis aperçue que chacun d’eux porte un principe propre mais aussi qu’ils sont complémentaires. Le schéma ci-dessous résume ces impacts.

Spécificités et complémentarités des instruments pratiques de l’accompagnement en somato-psychopédagogie

En effet, la relation d’aide manuelle est décrite comme le lieu du déploiement perceptif, accompagné par la main du praticien et son guidage verbal. Elle est aussi l’espace où la personne est touchée et se laisse toucher, émouvoir : « Je me souviens, j’avais des larmes qui avait coulé ce jour-là ». Cette approche est aussi vécue par les patients comme un moyen de réaccorder « tête et corps » dans les moments difficiles.

La pratique gestuelle favorise le lien entre expérience extra-quotidienne et quotidienneté, elle développe l’autonomie de la personne en développant une qualité de présence à soi dans son action en lien avec les phénomènes du Sensible : « ne pas faire certains gestes dans ma vie de tous les jours de façon machinale (…) de le vivre plus pleinement ».

La relation d’aide introspective, quant à elle, développe la proximité « ça m’apprend à apprendre de moi », l’intimité avec soi « c’est comme un refuge ». Elle permet un accordage entre pensée, corps, affectivité, comportement, rapport aux autres et à l’environnement.

La verbalité permet les phases de reconnaissance, validation et valorisation de l’expérience corporéisée Sensible. Elle favorise aussi les prises de conscience par contraste et les liens avec le quotidien et les situations-problème : « Ça m’a aidé à transformé ma relation à mon problème ».

La complémentarité des instruments pratiques est aussi un élément important pour les participants, elle permet un rapport à soi différent « C’est une autre manière de se voir », « ça m’a énormément surpris, (…) toutes les dimensions qui permettent de rentrer en contact avec son propre corps et son propre mouvement ».

Renouvellement du rapport à soi pluriel sous l’impulsion du Sensible

Comme je l’ai abordé dans la présentation théorique et comme cela est présenté par D. Bois (2006), le rapport à soi se renouvelle selon différentes formes de rapport. Mes résultats de recherche me permettent de préciser certains de ces rapports.

Schéma du renouvellement du rapport à soi sous l’impulsion du Sensible

Il apparaît que, pour les participants à ma recherche, le renouvellement du rapport à soi se décline de plusieurs manières. D’abord et en premier, l’enrichissement puis le renouvellement du rapport au corps impulse l’enrichissement et le renouvellement du rapport au psychisme. Ces deux rapports enrichis se complètent pour donner accès à l’accordage somato-psychique : « La présence à moi c’est quand j’arrive à raccorder la tête avec le corps ».

Le rapport à la connaissance de soi s’enrichit lui aussi : « Je suis parti d’une méconnaissance de moi (…), j’arrive à une découverte » ; il s’accompagne d’un changement de sa manière d’être au quotidien : « J’ai appris à dire non, à dire oui quand cela me convient ». Il est clair que le changement ne s’opère pas sur un événement précis mais sur un rapport au quotidien qui se transforme. Je peux ainsi dire que l’accompagnement en somato-psychopédagogie favorise le renouvellement des différentes formes de rapport précitées et que ce phénomène favorise le renouvellement d’un rapport à soi pluriel.

Réflexion, discussion et perspectives

Cette recherche exploratoire, auprès d’un petit nombre de personnes, m’a permis de trouver quelques réponses à mes questionnements concernant les spécificités des différents instruments pratiques et du renouvellement du rapport à soi. Il apparaît clairement que les différents outils d’accompagnement de la somato-psychopédagogie ont tous leur rôle dans le renouvellement d’un rapport à soi pluriel.

Par ma posture de praticien-chercheur, ma recherche fait évoluer ma pratique professionnelle et permet de faire évoluer la pratique professionnelle de la somato-psychopédagogie. Cette recherche m’a permis de mieux comprendre les impacts et principes propres à chaque instrument pratique. Actuellement, je suis plus à même de proposer à mes patients telle ou telle pratique selon leurs demandes et le projet que nous avons défini ensemble. Je me sens plus consciente de mes propositions, de mes consignes et en connais mieux les impacts et enjeux.

Je me sens, aussi, plus proche de leur processus de changement, je respecte mieux la chronologie : enrichissement, renouvellement et changement. Je m’aperçois que je ne cherche pas à « forcer » le processus mais, par cette recherche, j’ai appris à respecter la temporalité de chacun et les différentes phases qui jalonnent le processus de changement de rapport à soi.

J’ai aussi pris la mesure de l’importance de varier les cadres d’expérience pratique y compris au sein d’une même séance afin de mobiliser le processus de changement impulsé par la nouveauté perceptive. Il m’apparaît clairement que l’extra-quotidienneté et la nouveauté qu’elle véhicule, sont prioritaires dans mon accompagnement auprès de patients.

Au vu de ces apports sur ma propre pratique et afin de réaliser un accompagnement de bonne qualité, il me semble que tout professionnel de la somato-psychopédagogie doit :

  • bien connaître les enjeux et impacts des différentes propositions qu’il fait à une personne ;
  • savoir évaluer dans quelle phase de son processus est la personne ;
  • oser varier ses propositions dans une même séance, réaliser un ajustement en temps réel de sa pratique y compris dans les outils qu’il utilise.

Discussion théorique autour de la question de l’accompagnement

Je choisis de mener ma discussion autour de la problématique soulevée dans le contexte théorique présenté dans cet article. En effet, selon les auteurs, la nécessité des pratiques d’accompagnement trouve son origine dans la perte des intégrateurs (Le Bouëdec, 2003) sociaux ou dans la perte des relations humaines solidaires, amicales et sociales (Singer, 2001) que vit une personne. J’ai problématisé ma recherche en questionnant une autre origine possible : la perte du rapport à soi ou la perte de proximité avec soi. J’ai pu observer que l’accompagnement proposé en somato-psychopédagogie régule ce trouble de rapport à soi, en développant notamment le rapport au corps, et qu’il a des effets sur la stabilité intérieure, le « se tenir debout seul » évoqué par G. Le Bouëdec, au sein de son environnement et de la société. Ma recherche ouvre donc la possibilité à une troisième origine du trouble individuel nécessitant un accompagnement : le trouble du rapport à soi.

Critique de la recherche et perspectives : le contexte de la maladie

Je n’oublie pas, dans les résultats que je présente deux paramètres. Tout d’abord, le petit nombre de participants à cette étude et ensuite, les patients-participants à cette recherche, ont tous connus la maladie chronique, ce facteur ne doit pas être négligé dans les résultats que je présente. La pratique d’accompagnement proposée par la somato-psychopédagogie s’adresse dans un premier temps au rapport que la personne entretient avec son corps. Il est possible que le trouble du rapport au corps que produit la maladie chronique influence la sensibilité que les personnes ont eue pour cette approche.

Après avoir approfondi ma connaissance du processus de changement impulsé par la somato-psychopédagogie et de ses instruments pratiques, il me semble qu’il serait pertinent d’étudier plus profondément, la question de la place du corps dans le processus de formation et de changement chez la personne souffrant de maladie chronique.

Pour ce faire, j’aimerai enquêter, dans la littérature des pratiques d’accompagnement de la personne souffrant de maladie chronique, sur la place donnée au corps dans ces approches. Et ensuite, j’aimerai étudier la place du corps dans les processus d’apprentissage chez les patients souffrant de maladie chronique. Dans ce cadre, j’irai jusqu’à poser la question : l’accompagnement en somato-psychopédagogie pourrait-il s’inscrire dans les outils d’intervention préconisés en éducation thérapeutique du patient ?

En effet, l’accompagnement en somato-psychopédagogie permettrait de proposer une éducation centrée sur l’expérience du corps, autre que l’expérience de la maladie, sur le vécu du patient et sur le développement de la réflexion autour de l’expérience et de la mise en action de soi. Nous avons vu, dans cette recherche, l’importance de construire un rapport à soi « solide » en lien avec différentes formes de rapport (au corps, au psychisme, à la connaissance de soi et à la vie quotidienne) dans l’accompagnement de la personne. J’aimerais étudier ces phénomènes chez un plus grand nombre de patients souffrant de maladie chronique.

 

Notes

1 Le toucher de relation est un toucher spécifique qui permet au praticien d’accéder à la demande du corps de la personne souvent inaudible et permet au patient d’entrer en relation avec son propre corps par les médias du toucher. Il devient un lieu d’échange et de communication non verbale entre patient-praticien-corps.

2 Prenons appui sur la définition de Bourgeois pour mieux comprendre cette posture : « Cette double posture – combien paradoxale – de ‘praticien-chercheur’, c’est-à-dire, d’acteur engagé à la fois dans une pratique socioprofessionnelle de terrain et dans une pratique de recherche ayant pour objet et pour cadre son propre terrain et sa propre pratique. » (Bourgeois, in Albarello, 2004, p. 7)

3 L’éducation thérapeutique se définit ainsi : « L’éducation thérapeutique du patient s’inscrit dans le parcours de soins du patient. Elle a pour objectif de rendre le patient plus autonome en facilitant son adhésion aux traitements prescrits et en améliorant sa qualité de vie. Elle n’est pas opposable au malade et ne peut conditionner le taux de remboursement de ses actes et des médicaments afférents à sa maladie ». « Les actions d’accompagnement font partie de l’éducation thérapeutique. Elles ont pour objet d’apporter une assistance et un soutien aux malades, ou à leur entourage, dans la prise en charge de la maladie. » (loi n° 2009-879 du 21/07/2008, article 84, citée par D. Jacquat, 2010).

4 « L’extra-quotidienneté place le sujet dans un rapport à son expérience qui le sort de l’expérience dite première, à propos de laquelle G. Bachelard mentionne qu’elle ne peut être productrice de connaissance. Elle installe des conditions productrices de nouveauté, d’une nouveauté qui ne relève plus de ‘l’accident’, de l’imprévisible, mais bien d’un choix, d’une série de contraintes installées, dans ce but, par le praticien-chercheur. En quelque sorte, la nouveauté formatrice est ainsi convoquée, voire ‘provoquée’ en ce qui concerne ses conditions d’émergence. » (Bois, 2007, p.75-76)

5 Le Sensible est défini comme étant la résultante de trois paramètres, la présence du mouvement interne, d’une matière vivante et d’un sujet percevant.

6 Afin de définir la notion d’advenir, je laisse la parole à D. Bois : « L’advenir, tel que je le conçois est d’une autre nature puisque l’advenir est le lieu d’une rencontre entre le présent et le futur, habité par un sujet qui le vit et l’observe. » (Bois, 2009, p. 7)

7 Les différentes pratiques visent à permettre à la personne d’entrer en relation avec des informations porteuses de sens pour elle. La relation d’aide manuelle est souvent le premier acte d’accompagnement. Par le biais d’un toucher appelé de « relation », « Ce toucher de relation soigne la relation à soi, la présence à soi et le sentiment de soi, intimement liés à la qualité de la relation au corps » (Courraud, 2007, p. 126), elle permet de créer les conditions d’expérience du mouvement interne. La relation d’aide

gestuelle propose une dynamique différente, elle permet à la personne de se mettre en action en conservant une attitude de présence à soi et au mouvement interne, notamment grâce à la lenteur. La pratique introspective, quant à elle, permet à la personne de se recentrer sur les différents vécus corporels, sans intermédiaire de toucher ou de geste. Et enfin, la verbalité proposée, répond à une demande de mise en mots, de clarification et de mise en sens de son vécu.

8 Ma posture de praticien-chercheur du Sensible me permettra de recueillir, d’analyser mes données à partir du lieu du Sensible avec cette posture bien spécifique d’implication et de distanciation propre à ce paradigme : la neutralité active (Bois, Austry, 2007)

9 La directivité informative est avant tout la posture pédagogique, spécifique de la somato-psychopédagogie. Cette posture inscrit cette approche dans le courant de la médiation active, elle consiste, en s’appuyant sur les programmes d’enrichissement sensoriels, perceptivo-cognitifs et cognitivo-comportementaux, à guider notre patient de manière active, voire même interventionniste parfois, vers l’accueil d’informations nouvelles.

10 Toutes les citations de participants sont issues de ma recherche, et sont extraites des analyses

 

Isabelle Bertrand

Sources: 

Albarello, L. (2004). Devenir Praticien-Chercheur – Comment réconcilier la recherche et la pratique sociale. Bruxelles : de Boeck.

Berger, E. (2006). La somato-psychopédagogie ou comment se former à l’intelligence du corps. Ivry-sur-Seine : éditions Point d’appui

Bois, D. (2001). Support de cours, post graduation en pédagogie perceptive du mouvement, Université Moderne de Lisbonne

Bois, D. (2006). Le Moi renouvelé. Ivry-sur-Seine : éditions Point d’appui

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