De l’intelligence du corps à l’esquisse d’une théorie de l’intelligence sensorielle

Intelligence sensorielle
Auteur(s) :

Hélène Bourhis - Professeure auxiliaire invitée de l'UFP, Docteure en sciences de l'éducation, psychopédagogue, Directrice adjointe du CERAP

Docteur en sciences de l'éducation. Sous directrice du CERAP et professeure auxiliaire invitée de l'UFP

L'enjeu de cet article est de présenter une argumentation théorique en faveur de l'intelligence sensorielle telle que conceptualisée par Danis Bois.

Le lecteur est invité à parcourir l'état des lieux de la question de l'intelligence, de l'unité en-tre le corps et l‟esprit du point de vue des neurosciences, de la psychologie et de la philosophie, pour aboutir à une mise en esquisse de l'intelligence sensorielle. La dynamique de cette recherche vise à élu-cider la forme de l'intelligence mobilisée par l'apprentissage du toucher manuel sur le mode du Sensible. Au-delà de la simple résolution d'une problématique professionnelle, émerge une problématique scientifique fondamentale dans la mesure où la mise à jour de l'intelligence sensorielle inaugurerait le déploiement d‟une nouvelle potentialité humaine.

Cet article s’appuie sur ma recherche doctorale en cours, dans le domaine des sciences de l’éducation[1], et propose une discussion théorique autour de la question de l’intelligence du corps et des processus conscients déployés activement par un sujet qui la mobilise. Ma recherche se situe à la croisée d’une longue trajectoire personnelle et professionnelle où le corps et l’intelligence que je considérais comme deux entités séparées se sont progressivement retrouvés, reliés, puis entrelacés tant sur le plan expérientiel que compréhensif.

Depuis plus de vingt ans, j’enseigne la somato-psychopédagogie[2] dans le cadre d’une formation continue pour adultes et suis en permanence confrontée à la nécessité d’adapter et d’enrichir la pédagogie pour permettre aux apprenants de surmonter les difficultés qu’ils rencontrent dans l’acquisition des compétences nécessaires à la relation d'aide manuelle[3]. Mon questionnement s’approfondit par nécessité : comment est-ce que je m’y prends pour guider l’apprenant à enrichir ses capacités perceptives ? Quels actes perceptifs et mentaux permettent la saisie de la subjectivité dans le corps de l’autre puis à réguler son geste de manière adéquate ?

Je pensais initialement qu’il suffisait d’un entraînement au toucher pour acquérir la compétence manuelle correspondante, comme s’il se produisait un saut qualitatif qui permettait de passer du toucher à la compétence. Je savais que dans l’apprentissage du toucher de relation, les apprenants développaient des stratégies conscientes, mais sans pour autant les relier à la mobilisation d’une intelligence. Pourtant, dans le toucher manuel, l’apprenant est bien amené à déclencher des réactions tissulaires et à composer avec elles pour obtenir un résultat précis. Progressivement je pris conscience que le toucher de relation manuel sollicitait une performance perceptive et cognitive de très haut niveau. Acquérir les compétences à créer les conditions d’une mobilisation interne du tissu, à saisir l’information interne, à lui donner une intelligibilité à partir de laquelle est réalisée une régulation du geste manuel devait nécessairement relever de la mobilisation d’une intelligence. Avec le temps, je pris conscience que l’exploit perceptif et cognitif se trouvait surtout dans la capacité à percevoir les actions et les réponses en temps réel de l’action manuelle. Toutes ces années de pratique de formation m’ont amenée à postuler que l’intelligence et la perception ne sont pas deux fonctions séparées, mais qu’elles sont unies dans la performance manuelle demandée. Ce postulat s’est précisé quand D. Bois proposa sa théorie de l’intelligence sensorielle pour définir la capacité d’un sujet à saisir sa subjectivité corporelle et à la rendre intelligible en temps réel de l’expérience vécue grâce à la mobilisation unifiée de la perception et de l’intelligence. La perspective qu’emporte l’intelligence sensorielle prolonge et amplifie l’idée de l’apprentissage dans l’action de C. Argyris et D.A. Schön (1974).

Cet article me donne l’occasion de socialiser l’état des lieux de ma recherche et de restituer le mouvement de problématisation théorique concernant cinq points clés : le rapport au corps dans l’apprentissage, l’intelligence telle qu’elle est entrevue classiquement, les interactions entre corps et esprit comme lieu d’émergence de connaissances, l’intelligence du corps et enfin, le point de vue des philosophes sur l’unité dynamique entre le corps et l’esprit. À partir de ce matériau théorique, je serai à même d’engager une discussion autour de la pertinence ou non de la mise à jour d’une nouvelle forme d’intelligence. Questionner l’intelligence sensorielle revient à interroger la manière dont les expériences du corps participent à la vie réflexive.

Le rapport au corps dans l’apprentissage

Ma recherche s’inscrit dans un courant de pensée qui attribue au corps une capacité d’intelligence que l’on retrouve généralement dans la littérature sous le vocable d’« intelligence du corps ». À l’heure actuelle, cette thématique intéresse fortement les chercheurs et fait l’objet de nombreux ouvrages comme L’intelligence du corps (Bertrand, 2004), Le corps intelligent (Csepregi, 2008) ou de nouveaux concepts tel que celui de l’« l’intelligence corpo-kinesthésique » de H. Gardner (Gardner, 1983, 1997).

Aborder l’intelligence du corps nécessite de dépasser les enjeux discriminatifs entre l’intelligence de l’esprit et l’intelligence du corps comme l’évoque H. Gardner : « On peut être choqué au premier abord que l’utilisation du corps soit considérée comme une forme d’intelligence.(…) Ce divorce entre le ‘mental’ et le ‘physique’ n’a pas manqué d’être associé à l’idée que ce que nous accomplissons avec notre corps est d’une certaine manière moins important, moins spécifique que la résolution de problèmes par l’utilisation du langage, de la logique ou d’un autre système symbolique relativement abstrait. » (Gardner, 1997, p. 219).

Cette discrimination concerne aussi les sciences de l’éducation, c’est en tout cas ce que pointe P. Dominicé quand il relève la prédominance cognitiviste régnant dans le milieu scolaire : « La dissociation entre la pensée et le corps a été renforcée par la priorité cognitive donnée aux apprentissages formels du parcours scolaire ainsi qu’aux pratiques dominantes du courant de la médecine scientifique. » (Dominicé, 2005, p. 65) Cette ligne dominante entraîne du même coup une posture où le corps est relégué au second plan, voire même décrié : « Le corps est raillé et rejeté comme la part inférieure et asservie de l’homme. » (Horkheimer et Odorno, 1974, p. 251) A. Borgmann (1992) dénonce cette posture et prévient des conséquences d’un processus d’apprentissage qui occulterait un savoir incarné. De son point de vue, un savoir désincarné associé à une « hyper information » aboutit à un « mental hypertrophié » privilégiant le savoir quantitatif ciblé sur l’accumulation et la restitution du plus grand nombre d’informations. Selon A. Borgmann, cette posture dominante au sein des structures éducatives crée chez l’apprenant un sentiment de vide intérieur et un rapport impersonnel et sans substance à la connaissance, conduisant à une « super intelligence » qui s’exprime au détriment de la présence corporelle. Cette tendance à ignorer les vécus du corps génère une inaptitude à s’impliquer dans le processus d’apprentissage, le corps étant frappé par une foultitude d’informations sensorielles extérieures sans que l’apprenant soit concerné intérieurement. C. A. Van Peursen va dans le même sens et invite à considérer le corps vivant comme porteur de ressources et de communication participant à la dynamique de l’apprentissage : « Vous ne comprendrez jamais un corps vivant si vous vous entêtez à le traiter comme une structure mécanique autonome, non rattachée à un contexte plus vaste. Grâce à ses ressources, à ses facultés de communication, le corps transcende continuellement ses aspects purement physiques ; il constitue une forme dynamique, un mouvement, une orientation. » (Van Peursen, 1979, p. 148).

Tous ces propos montrent que l’alliance entre le corps et l’intelligence pose problème. Pourtant cette problématique semble dépassée au regard de la phénoménologie qui confère au corps une réelle faculté de production de connaissances : « Le corps n’exerce pas une fonction de connaissances uniquement dirigée vers l’extérieur, mais est capable de se retourner sur lui-même, de devenir à la fois source et finalité de son exploration, de ses démarches gnosiques. » (Dauliach, 1998, p. 311). Cette idée implique une reformulation du statut du corps en distinguant le « corps objectif » du « corps subjectif » ou « corps propre » vecteur d’une connaissance immanente.

Déjà au XVIIIème siècle, Maine de Biran, philosophe français, décrivait deux formes de connaissance : la « connaissance extérieure » se donnant par la médiation d’une action réfléchie; et la « connaissance intérieure », corporelle, immédiate et interne, se donnant en amont de la médiation réflexive. Il y a donc, comme le rapporte M. Henry se faisant l’écho de Maine de Biran : « Une connaissance intérieure… une certaine faculté intime à notre être pensant, qui sait… que telles modifications ont lieu, que tels actes s’exécutent, et sans cette connaissance réflective, il n’y aurait point d’idéologie ni de métaphysique : il faut donc un nom pour cette connaissance intérieure, car celui de sensation ne peut tout dire. » (Henry, citant Maine de Biran, 1965, p. 19)

Dans le prolongement de la pensée biranienne et de la phénoménologie, D. Bois, introduit la notion de « corps Sensible » comme lieu d’expérience intérieure dans laquelle se décline une dynamique de réciprocité entre le senti et le pensé par le médiat de la perception : « Le corps Sensible devient alors, en lui-même, un lieu d’articulation entre perception et pensée, au sens ou l’expérience sensible dévoile une signification qui peut être saisie en temps réel et intégrée ensuite aux schèmes d’accueil existants, dans une éventuelle transformation de leurs contours » (Bois, 2007, p. 61). Ce prolongement par D. Bois des concepts de « corps propre », « corps phénoménal », « corps vécu », « chair » et « chiasme » ne s’est pas fait sans confrontation avec une phénoménologie bien campée. La nécessité de ce prolongement et l’introduction du concept du « corps Sensible »  sont nés d’une praxis du toucher corporel manuel et de l’introspection.

Dans cette perspective, l’acte de percevoir est synonyme de « s’apercevoir » depuis le lieu du Sensible à partir duquel s’ouvre l’accès à une connaissance interne, immédiate, corporéisée et signifiante : « (Le Sensible) est un mode de préhension de soi-même et du monde global et immédiat, qui obéit à des lois, à des règles et à une cohérence spécifiques, permettant l’accès à l’intelligibilité de l’univers des sensations corporelles sous l’autorité de la perception. » (Bois, 2007, p. 338). Faisant écho à D. Bois, E. Berger décrit ainsi le processus de connaissance qui se donne dans l’appréhension du Sensible : « (le corps Sensible devient) une caisse de résonance capable tout à la fois de recevoir l’expérience et de la renvoyer au sujet qui la vit, la lui rendant palpable et donc accessible ; capable aussi, par des voies dépassant les outils quotidiens de l’attention à soi, de dévoiler des facettes de l’expérience inapprochables par le retour purement réflexif : subtilités, nuances, états, significations, que l’on ne peut rejoindre que par un rapport perceptif intime avec cette subjectivité corporelle, et qui pourront ensuite nourrir les représentations de significations et de valeurs renouvelées. » (Berger, 2005, p. 52)

Grâce à un contact direct avec le Sensible incarné, le sujet perçoit un ensemble de tonalités internes et de sentiments organiques générés par une virtuosité qui allie une activité perceptive et une mobilisation introspective. Sur la base de cette virtuosité, le sujet entre de plain-pied dans la subjectivité corporelle qui se décrit ainsi : « En vivant les choses de l’intérieur, la réalité change, au lieu d’être muette sous la forme d’un ensemble d’objets face à nous, La réalité au contact du Sensible entre en résonance avec le cœur de nous-mêmes. » (Bois, littérature grise, 2009).

Quelques repères sur l’intelligence

La littérature spécialisée qui traite de l’intelligence pose souvent l’interrogation « qu’est-ce que l’intelligence ? ». En effet, le concept d’intelligence est complexe comme le dit Weinberg (1986) considérant qu’aucun autre concept n’a probablement engendré autant de controverses. Cet auteur argumente cette complexité en relevant trois problèmes majeurs liés : la nature de l’intelligence elle-même, la controverse autour du QI (quotient intellectuel), et enfin, la polémique autour de l’inné et de l’acquis source de débats très animés entre spécialistes. Comme la plupart des chercheurs en sciences de l’éducation, je considère que l’opposition entre ces deux termes n’est pas pertinente dans la mesure où tout comportement humain est gouverné par la génétique et que rien ne peut être accompli sans un environnement favorable.

La question du QI, de l’inné et de l’acquis étant très éloignée de mon projet de recherche, je préfère aborder la nature de l’intelligence, notamment sa complexité, sous l’angle de la polysémie qu’A. Prochiantz souligne ainsi : « Personne ne peut sérieusement prétendre donner de l’intelligence une définition embrassant toute la polysémie rationnelle et irrationnelle du terme. » (Prochiantz, 1998, p. 34). Malgré cette difficulté, G. Gandolfo propose de définir ainsi les différentes dimensions de l’intelligence : « Le terme d’intelligence renvoie aussi bien à l’esprit lui-même en tant qu’il conçoit, à la faculté de comprendre facilement et d’agir avec discernement, à l’action de pénétrer par l’esprit, à la capacité de s’adapter pour assurer sa survie, à l’adresse et l’habileté en parlant des moyens employés et de leur choix pour obtenir un certain résultat. » (Gandolfo et alii, 2006, p. 131). On voit apparaître ici deux figures de l’intelligence, l’une concernant les facultés mentales (capacité à concevoir, aisance à comprendre, faculté de discernement), et l’autre concernant la mise en action (adresse et habileté, capacité d’adaptation, capacité de cohérence entre action et projet). Cela nous renvoie à l’intelligence entrevue sous l’angle des compétences, le degré de compétence devenant du même coups un indice de l’intelligence de la personne. Cette idée se retrouve chez F. Grammont quand il fait le lien entre l’intelligence et le comportement : « Ce sont les résultats obtenus par tel ou tel comportement qui en définissent l’intelligence. » (Gandolfo et alii, 2006, p. 132).

Finalement, pour appréhender l’intelligence, il convient de faire une distinction entre le substantif « intelligence » (état mental à l’origine de l’action) et l’adjectif « intelligent » (pertinence de la mise en action et manières d’être) qui souligne la présence de facultés, de fonctions et de capacités. L’intelligence est donc à la fois une fonction, une faculté, mais surtout une capacité de mise en œuvre. Cette vision se rapproche des représentations populaires qui voient dans l’intelligence une caractéristique d’une personne à résoudre des problèmes, à trouver des réponses adaptée à des situations imprévues et cela de façon pertinente et habile.

Dans un registre différent, le modèle de l’intelligence proposé par D.O. Hebb (1949) et P.E. Vernon (1962) rend compte des différents niveaux d’intelligence que nous venons d’esquisser, mais il emporte, en plus, une vision de l’intelligence qui met en scène le potentiel biologique et génétique de l’individu, les structures motivationnelles et métacognitives de l’apprenant ainsi que les capacités de performance pour résoudre des problèmes. La réflexion de D.O. Hebb et P.E. Vernon aboutit à la catégorisation de trois types d’intelligence. En premier, l’intelligence A correspond au potentiel biologique de l’individu, déterminée surtout par des facteurs génétiques. Cette intelligence est théorique et décrit dans quelle mesure une personne peut bénéficier des stimulations de son environnement. Elle rejoint ce que H.J. Eysenck (1988) nomme « intelligence biologique ». Ensuite, l’intelligence B est définie comme l’intelligence actuelle de l’individu, comprenant les éléments de structure, de motivation, de concentration et de métacognition déployés dans le processus de pensée et de la résolution du problème. Et enfin, l’intelligence C se définit comme la capacité mentale à réaliser des performances.

Claparède (1948) et J. Piaget (1948) confèrent à l’intelligence le statut de fonction, de moyen permettant à l’homme de s’adapter et de maintenir un équilibre dans l’échange entre le monde extérieur et le sujet, mais ils ajoutent l’influence des sentiments, des aspects affectifs et cognitifs dans la performance de l’intelligence. Dans cette perspective, J. Piaget soutient : « (que) l’on ne saurait raisonner, même en mathématiques pures, sans éprouver certains sentiments, et, inversement, il n’existe pas d’affections, sans un minimum de compréhension ou de discrimination. » (Piaget, 1948, p.15)  Ou encore : « Selon Claparède, les sentiments assignent un but à la conduite tandis que l’intelligence se borne à fournir les moyens (la « technique). » (ibid., p.13) Toujours selon Piaget, le sentiment dirige la conduite en attribuant une valeur à ses fins alors que la connaissance lui imprime une structure (assurée par les perceptions, la motricité et l’intelligence). Il y a bien un débat qui situe la place de l’affection dans le déroulement de l’intelligence admettant une certaine parenté entre la vie affective et la vie cognitive grâce à laquelle s’organise un équilibre entre des valeurs supérieures et le système des opérations logiques par rapport aux concepts. « Nous dirons donc simplement que chaque conduite suppose un aspect énergétique ou affectif et un aspect structural ou cognitif » (ibid, p.14).

Nous savons depuis A. Bandura (1997) que le sentiment d’efficacité personnelle renvoie à la croyance qu’à une personne en sa capacité à réussir un certain type de tâche. L’interaction entre l’affectivité, les sentiments et l’intelligence, nous conduit ainsi à introduire le sujet actif dans le déroulement d’une conduite intelligente. Dans ce contexte, le sujet est actif dans la mesure où sa propre biographie, liée à son environnement social, affectif et culturel, influence ses facultés personnelles de se connaître, de « savoir vivre ensemble », de comprendre et d’utiliser des comportements adéquats.

Après cette vision synthétique de l’intelligence humaine, nous constatons que la complexité du concept d’intelligence est bien réelle et, quand un chercheur tente de l’aborder, il est confronté à un choix cornélien. Les données sur l’intelligence sont si nombreuses et issues d’horizons si différents (neurosciences, biologie, psychologie, pédagogie, science du comportement) que le chercheur se doit de les sélectionner en fonction de son projet de recherche.

Le mien vise à mettre en exergue l’unité entre le corps et l’esprit comme élément constitutif de l’intelligence du corps, et vise également à relever la place du sujet actif qui se perçoit à l’interface entre le corps et l’intelligence. La place du sujet dans la mobilisation de l’intelligence est souvent traitée comme un « allant-de-soi », porté par l’évidence que cette fonction ne saurait être pertinente sans la complicité d’un sujet qui la déploie. En conséquence, la centration sur l’apprenant existe bien, mais elle concerne surtout le déploiement des modes opératoires sur le mode du behaviorisme, des théories cognitives et des théories interactives. Cette dynamique d’apprentissage met de côté les facteurs d’apprentissage internes au sujet, à savoir la mobilisation des ressources attentionnelles, l’enrichissement des potentialités perceptives, l’instauration de la présence à soi et à son corps qui sont autant d’instruments internes favorisant la production de la connaissance. Malgré la richesse des travaux sur l’intelligence, les études traitant la place de l’intelligence du corps dans les système éducatifs sont rares et l’intelligence entrevue sous l’éclairage de l’interaction entre le corps et l’intelligence mérite d’être davantage étudiée.

Ma réflexion autour de la place du sujet à l’interface du corps et de l’intelligence m’invite dans un premier mouvement à brosser un état des lieux des travaux neuroscientifiques, psychologiques qui plaident en faveur de l’interaction entre le corps, le sujet et l’intelligence, et, dans un second mouvement, je dessinerai les contours de l’intelligence du corps fondée sur la pensée des philosophes qui ont abordé cette thématique et, enfin, en m’appuyant sur ces données, j’esquisserai les premiers contours de l’intelligence sensorielle.

Arguments neuroscientifiques et psychologiques en faveur de l’interaction entre l’intelligence et le corps

Comment notre cerveau perçoit-il ce qui nous entoure et comment nous le restitue-t-il ? Cette question est traitée par les neuroscientifiques à travers l’étude instrumentalisée des réactions aux stimuli, de la fonction des organes sensoriels et de l’intentionnalité.

  • Quelques repères du point de vue des neurosciences

Les neurosciences définissent la sensation comme les données brutes de sens, reçues dans les aires primaires et la perception comme le résultat de la construction par le cerveau d’une représentation élaborée dans les aires d’association. Par contre, ce qui n’est toujours pas clair est la place et la nature de la conscience de ces perceptions.

M. Jeannerod (1990) propose le terme de « conscience perceptive » pour définir la prise de conscience d’une information par un sujet enraciné dans l’immédiateté et la singularité. Cet auteur confère à l’esprit une fonction centralisatrice des informations extérieures ou intérieures qui transitent par le corps : « L’esprit traite aussi bien les informations qui proviennent de l’environnement avec lequel le corps interagit en permanence que les informations qui lui parviennent de l’intérieur du corps. » (Jeannerod, 2002, p. 36)

On trouve chez A. Damasio un regard qui associe perception, conscience et sentiment organique. La dimension perceptive renvoie ici au dialogue entre l’esprit et l’affect à partir d’une vision neurobiologique centraliste qui s’appuie sur un substratum anatomique et physiologique[4] soumis à la dictée des fonctions cérébrales : « Les sentiments sont des perceptions, et il me semble que leur soubassement se trouve dans les cartes corporelles du cerveau. Celles-ci renvoient à des parties du corps et à des états du corps. » (Damasio, 2003, p. 89)

Le sentiment décrit par Damasio se distingue de l’émotion et invite à l’élargissement de l’horizon de ce terme en le resituant dans sa polysémie. Habituellement, le sentiment renvoie à la notion de plaisir ou de douleur, ou à la dimension affective et émotionnelle. Dans l’esprit de ce chercheur, le sentiment est un état mental du corps traduisant une information organique générée et gérée par l’activité cérébrale : « Un sentiment est la perception d’un certain état mental du corps ainsi que celle d’un certain mode de pensée. » (ibid., p. 90) Sous cet éclairage, le sentiment revêt le statut de perception de soi dont le soubassement se trouve dans les cartes neuronales.

Toujours selon Damasio, l’articulation de fond entre le corps et la pensée n’est pertinente qu’en la présence d’une conscience supportée par un sentiment de soi : « La machinerie du sentiment contribue elle-même au processus de la conscience, à savoir, à la création du soi, sans lequel on ne peut rien connaître. » (Damasio, 1999, p. 114) Cette vision est complétée par la participation du corps à la vie réflexive et à la prise de décision par l’intermédiaire des marqueurs somatiques. Cette théorie offre un regard sur la manière dont le corps est complice dans les prises de décision sur la base de composantes affectives, émotionnelles et des sentiments liés aux souvenirs réactivés à travers les marqueurs somatiques représentés dans le cerveau : « Il est inconcevable de comprendre comment fonctionnent les émotions et les sentiments si on oublie le corps. […] En effet, l’idée principale de ma théorie des marqueurs somatiques est la suivante : lorsqu’un individu doit prendre une décision face à un événement nouveau, et donc de faire un choix entre plusieurs options, il ne fait pas seulement une analyse purement rationnelle. Il est aussi aidé par les souvenirs qu’il a des choix antérieurs et de leurs conséquences. Et ces souvenirs contiennent des composantes affectives, émotionnelles, de l’événement passé. […] Le cerveau va «réveiller» ce que l’événement émotionnel avait provoqué dans le corps, ainsi que le sentiment ressenti, et cela orientera donc la prise de décision vers une autre option. » (Damasio, 2004, p. 35-41) On remarquera que dans l’esprit de Damasio, les marqueurs somatiques recouvrent aussi bien la vie objective que la vie subjective d’une personne : « Donc, au fur et à mesure des expériences de la vie, chacun dispose d’une analyse objective des situations nouvelles, mais aussi d’une histoire de ce que la vie a été pour son organisme, voilà ce que j’appelle les marqueurs somatiques. » (Ibid., p. 38)

J.-P. Roll, qui adopte une point de vue périphéraliste, élargit encore cette perspective sur le rôle du corps dans la conscience de soi, en soutenant que les informations en provenance du corps sont premières et s’appuient sur la proprioception[5] comme vecteur d’informations internes. « Elle (la proprioception) renvoie à un sentiment familier : celui d'habiter un corps, de le connaître, de le situer dans l'espace ou tout simplement, d'exister avec et par lui. La certitude de soi, en quelque sorte. » (Roll, 1993). La proprioception, étymologiquement « se capter en propre », se distingue des cinq sens extéroceptifs qui permettent de capter les informations provenant du monde extérieur. Le sens proprioceptif, appelé également « sixième sens », permet à la personne de se situer dans son propre corps et dans l’espace. Contrairement aux autres modalités perceptives qui sont relativement localisées, la proprioception est étendue à la globalité du corps.

Comme l’exprime J.-P. Roll, la proprioception participe à la connaissance de soi et au sentiment de corporalité : « L’indispensable contribution de l’action, et par-là de la kinesthèse qui la signe, à la représentation du sujet lui-même comme à la constitution du monde perçu par le sujet, ne fait aujourd'hui plus de doute. Il est en effet démontré que les sensibilités kinesthésiques, celles de l’appareil locomoteur lui-même, sont déterminantes à la fois pour l’élaboration de la connaissance de soi, la maturation fonctionnelle des autres sensibilités, leur exercice et leur mise à jour. » (Roll, 2003, p. 50). La sensibilité musculaire joue ici un rôle fondamental en étant à l’origine de messages organisés grâce auxquels s’élabore la reconnaissance que nous avons de nos attitudes et mouvements. La corporalité entrevue par J.-P. Roll (1994) est un sens issu de nos chairs, notamment du muscle, qui permet de se ressentir, offrant un sentiment à la fois d’incarnation, d’appartenance à son corps et d’habiter dans nos chairs.

Les dernières recherches scientifiques sur le mouvement montrent en effet que les muscles ne possèdent pas uniquement une fonction motrice, ils sont également de véritables organes des sens. L’information apportée par le sens musculaire est une sorte de « vision intérieure », à la source même de la connaissance des actions du corps : les capteurs sensoriels du muscle envoient des messages issus de nos mouvements indiquant la position du corps. Ces informations sensorielles captées par les fuseaux neuromusculaires sont transmises au cerveau qui élabore entre autres le schéma corporel (sens du mouvement) et le schéma postural (sens des positions).

Les expériences menées par J.-P. Roll le conduisent à conclure que non seulement la proprioception est le sens du mouvement, l’interface entre le corps et l’environnement et l’ancrage fondamental de l’identité, mais qu’elle est également le support de fonctions cognitives et de fonctions mentales élaborées.

La perspective offerte par les neurosciences, à mon sens, ne fait pas suffisamment apparaître le sujet actif, impliqué dans le processus « d’intellection corporelle ». Par conséquent, je me suis davantage orientée vers la philosophie qui place la perception et l’attention au premier plan de l’intellection. Une première illustration de l’intérêt philosophique nous vient de G.-W. Leibniz (1930) pour qui la perception de la pensée claire tient aux ressources attentionnelles du « sujet connaissant » ainsi qu’à l’aperception qu’il définit comme une opération active d’un sujet qui saisit son état intérieur (conscience ou connaissance réflexive de l’état intérieur). Une autre illustration nous vient de A. Desttut de Tracy qui souligne la difficulté à distinguer la pensée de la perception : « Le mot pensée est mal fait, ainsi que la plupart des mots dont nous nous servons ; il vient du mot penser, comparer : or comparer, c’est percevoir un rapport. Mais un rapport n’est qu’une des différentes perceptions dont nous sommes susceptibles. Percevoir des sensations, des souvenirs, des désirs, sont aussi des effets de notre faculté de penser : j’aimerai donc mieux qu’on la nommât du nom plus général perceptivité ou faculté de percevoir. » (Desttut de Tracy, 1992, p. 69)

En consultant la littérature spécialisée, nous constatons que les termes « perception » et « sensation » firent l’objet de discussions sévères entre empiristes (Aristote, Locke, Hume) et rationalistes (Platon, Socrate, Descartes) autour de leur pertinence ou non dans la production de connaissance. Les rationalistes considéraient la perception et la sensation comme des obstacles à la connaissance tandis que les empiristes les plaçaient comme le primat de la connaissance. Cependant, les deux courants, reconnaissent qu’il y a des illusions perceptives… La différence entre ces deux courants se situe au niveau du type d’apprentissage ; les empiristes soutiennent que l’on apprend de la sensation uniquement par association et erreurs et qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une pensée élaborée pour cela alors que les rationalistes estiment que ces mécanismes d’association ne sont pas suffisant pour organiser les sensations en perceptions signifiantes et qu’il faut des schèmes organisateurs préalables. Il me semble que l’on pourrait dire que les empiristes d’autrefois sont les « périphéralistes » d’aujourd’hui alors que les rationalistes correspondent aux centralistes…

  • Quelques repères du point de vue de la psychologie positive et cognitive

Avec le point de vue de la psychologie positive, nous pénétrons profondément dans le domaine de la subjectivité dans la mesure où elle aborde les états mentaux et psychiques. W. James, père de la psychologie positive, distingue la mobilisation attentionnelle, le flux de conscience, l’univers des sensations et la perception, tout en soulignant que ces quatre éléments interagissent dans l’élaboration de l’idée de l’action. Il exprime par ailleurs l’idée que le corps est le siège d’une sensibilité qui participe à l’ancrage identitaire de l’homme : « Une émotion humaine sans rapports avec un corps humain est un pur non être. » (James, 1924, p. 105). Pour W. James, les modifications organiques influencent la vie psychique : « Il est certain que, grâce à une sorte d’influence physique immédiate, certaines perceptions produisent dans le corps, des modifications organiques très étendues, avant que surgisse dans la conscience une émotion ou une représentation émotionnelle quelconque » (ibid., p. 500).

W. James fut l’un des premiers à étudier ce qu’il a dénommé de façon métaphorique « les eaux vives de la conscience » et qui, selon lui, sont l’essentiel de la vie intérieure, donnant à tout le reste, sens, mouvement, saveur et vie : « De tous les faits que nous présente la vie intérieure, le premier et le plus concret est celui-ci : des états de conscience vont s’avançant, s’écoulant et se succédant sans trêve en nous. La conscience va et ne cesse d’avancer » (James, 1924, 196) L’oeuvre de W. James est concrète, elle vise à analyser la vie intérieure dans ce qu’elle a de plus intime, de plus mystérieux et de plus inexprimé. Il convie sans cesse à une conscience de plus en plus intime, de plus en plus développée et à la pénétration de la pensée en lien avec une expérience. Nous accédons à la première donnée immédiate de conscience à travers une méthode introspective. Pour James, les sensations sont des connaissances et la perception une capacité à classifier, nommer, localiser et expliquer.

Face à ces phénomènes, James perçoit la nécessité d’une méthode analytique ciblée sur le flux de la conscience et laisse en héritage une description de l’introspection orientée vers l’exploration de l’intériorité du corps : « Plus je scrute mes états intérieurs, plus je me convaincs que les modifications organiques, dont on veut faire les simples conséquences et expressions de nos affections et passions ‘fortes’, en sont au contraire le tissu profond, l’essence réelle. » (ibid., p. 505). Il souligne ainsi l’importance de la dimension organique dans l’introspection et va plus loin encore lorsqu’il ajoute : « Il m’apparaît évident que m’enlever toute la sensibilité de mon corps serait m’enlever toute la sensibilité de mon âme, avec tous mes sentiments, les tendres comme les énergiques, et me condamner à traîner une existence d’esprit pur qui ne ferait que penser et connaître. » (ibid., p. 505).

H. Gardner (1983, 1997), psychologue cognitif, dans l’ouvrage qui le rendit célèbre Frames of Mind, rédige un manifeste contre ce qu’il nomme la « tyrannie du QI ». Il s’oppose à une forme unique monolithique d’intelligence et propose d’élargir la gamme des talents à sept formes d’intelligences ou capacités souvent indépendantes : logico-mathématique, linguistique, spatiale, musicale, corpo-kinesthésique, inter-personnelle et intra-personnelle. Pour l’heure, il semble acquis que l’intelligence n’est pas monolithique et, selon H. Gardner, il existe une inter-influence entre les différentes modalités de son expression : « En général, c’est une combinaison de plusieurs intelligences qui se manifeste chez les individus. » (Gardner, 2001, p. 91)

La vision novatrice de Gardner sur l’intelligence le conduit à identifier les critères qui la définissent. Il retrouve dans son évaluation les principes communs à toutes les intelligences mais pousse son analyse plus loin en étudiant des êtres d’exception ou des prodiges dans différents secteurs d’activité (intellectuelle, sportive, artistique, communicationnelles, etc.). H. Gardner relève l’existence d’aptitudes spécifiques appartenant à chacune des populations étudiées à partir desquelles il définit la présence de plusieurs formes d’intelligence. Chacune d’elles présentant des spécificités qui se retrouvent au niveau des opérations de base identifiables et au niveau des performances en fonction de la compétence qu’elle permettent. Parmi les sept formes d’intelligence décrites par H. Gardner, seules l’intelligence corpo-kinesthésique et les intelligences personnelles nous intéressent ici.

L’étude de l’intelligence corpo-kinesthésique confère au corps et au mouvement une place inhabituelle dans leur lien avec l’intelligence. H. Gardner nous offre un premier indice de l’importance du corps quand il souligne : « Le corps est plus qu’une simple machine qui serait impossible de distinguer des objets artificiels du monde. Il est aussi le réceptacle de la conscience de soi de l’individu, de ses sentiments et de ses aspirations les plus personnelles. » (Gardner, 1997, p.248). Cette idée rejoint en partie celle de M. Bernard pour qui le corps est un réceptacle du Vivant « c’est ‘en lui’ que nous sentons, désirons, agissons, exprimons et créons. » (Bernard, 1995, p.7).

Nous avons avec Gardner les critères qui permettent d’aller dans le sens d’un « savoir corporel » et kinesthésique qui caractérise l’intelligence au service de l’expression d’une émotion ou d’une habileté gestuelle au sein d’une activité sportive, artistique ou professionnelle. La reproduction de formes gestuelles sous l’autorité d’un état mental préconisé par Gardner explique en partie l’intelligence corporelle. Mais il est difficile de séparer l’intelligence corporelle des intelligences intra-personnelle et interpersonnelle qui convoquent un feeling interne déclenché dans un rapport à soi ou au monde. Grâce à elles, l’homme acquiert l’aptitude à percevoir ses propres états intérieurs et ceux d’autrui.

H. Gardner fait preuve d’une intuition profonde lorsqu’il place la conscience de soi comme élément régulateur des autres intelligences : « Il est, bien sûr, possible que notre liste donne une idée juste des aptitudes intellectuelles clés, mais que certaines aptitudes plus générales aient en fait la priorité sur elles ou servent à les réguler. Cela pourrait être le cas de la ‘conscience de soi’, qui dérive d’un mélange particuliers d’intelligences. » (Gardner, 1997, p. 74-75) Il suggère même que l’aptitude à se percevoir soi-même pourrait être une huitième forme d’intelligence : « Le développement de la conscience de soi est un domaine d’intelligence séparé – né de l’aptitude clé à se percevoir soi-même - (…) la conscience de soi devrait ou bien devenir une nouvelle intelligence (la huitième) ou bien la forme mûre de l’intelligence intra-personnelle. » (ibid., p. 307)

La psychologie cognitive s’intéresse aussi à la vie émotionnelle. À la suite des propositions fondatrices de D. Goleman (1999), J. Mayer et P. Salovey (1997, 2000) affirment la présence d’une intelligence émotionnelle (IE) comme faculté de l’homme à percevoir les émotions et à les gérer. Pour les théoriciens de l’intelligence émotionnelle, les capacités mentales mises en jeu dans la relation avec les émotions répondent aux théories de l’intelligence. En effet, les émotions sont des signaux qui génèrent des opérations cognitives signifiantes capables d’être discernées et contrôlées par le sujet (Mayer, Salovey et Caruso, 2002). Un autre phénomène qui va en faveur des théories de l’intelligence émotionnelle est la diversité individuelle à gérer ce type d’informations et à les intégrer dans des stratégies d’adaptation. Dans cette mouvance, J. Mayer, P. Salovey et D. Caruso (2002) soutiennent que les êtres varient dans leurs capacités à traiter les informations émotionnelles et à établir un lien entre ce traitement émotionnel et la cognition générale. Ils font l’hypothèse que cette capacité se manifeste dans certains comportements d’adaptation. On trouve chez Goleman (1997) quatre capacités de l’intelligence émotionnelle : la capacité de conscience de soi, de maîtrise de soi, d’empathie et de gestion des relations. R. Bar-On (1997) et D. Goleman ajoutent à cette description l’interaction entre l’intelligence émotionnelle et les traits de personnalité (optimisme, bien-être, etc.).

De nombreux tests d’évaluation de l’IE ont été modélisés (Bradberry et Greaves, 2002, 2003 ; Lane et Schwartz, 1987)[6] et, parmi les chercheurs qui se sont penchés sur cette question, R. Bar-On propose un test du « quotient émotionnel », tandis que D. Goleman propose un test de la « compétence émotionnelle ». Les tests d’évaluation de l’IE provoquent toujours des controverses, que ce soit  à propos de la légitimité des modèles, de la mesure ou encore de la possibilité de développer cette forme d’intelligence. Quoiqu’il en soit, des évaluations ont montré que certains programmes de perfectionnement de l’IE produisent des travailleurs plus émotionnellement intelligents.

L’intelligence du corps et ses caractéristiques

G. Csepregi, au début de son livre Le corps intelligent, relate l’atmosphère qui règne autour de la question de l’intelligence du corps : « Certains philosophes, certains sociologues ont tendance à envisager la ‘résurgence du corps’ avec un scepticisme critique et un pessimisme croissant. (…) L’amour/haine envers le corps imprègne toute la civilisation moderne. » (Csepregi, 2008, p.2)

Malgré le scepticisme ambiant, de nombreuses recherches sont menées sur l’intelligence du corps, principalement dans les arts et la philosophie, recherches qui tentent de réhabiliter le corps en lui attribuant une intelligence autonome et non réflexive. Notons cependant que le plus souvent, la science qui s’intéresse à l’intelligence du corps met de côté la part active du sujet au profit du « corps pré-réflexif » et de l’autonomie qui marque une émancipation du contrôle volontaire déployé par le sujet.

En consultant la littérature consacrée à l’intelligence du corps j’ai été amenée à relever cinq caractéristiques : la dimension pré-réflexive, l’activité autonome et spontanée, l’habileté à l’adaptabilité face aux situations imprévisibles et enfin l’expressivité authentique.

  • Pré-réflexivité, autonomie et spontanéité

La première caractéristique qui apparaît dans l’intelligence corporelle est sa fonction pré-réflexive sans pour autant que cette notion soit clairement explicitée. La plupart des travaux abordent cette dimension comme une émancipation de l’expression du corps par rapport à la volonté et à l’intentionnalité. Dans cette perspective, l’intelligence du corps s’exprime en dehors des contraintes de la pensée réflexive et des automatismes pour laisser la parole au corps : « Quelquefois, et c’est alors que nous avons le sentiment d’être nous-mêmes, il (le corps) se laisse animer, il prend à son compte une vie qui n’est absolument pas la sienne. Il est alors heureux et spontané, et nous avec lui. » (Merleau-Ponty, 1960, p. 104).

En réalité,  il existe plusieurs manières d’envisager l’intelligence du corps. Ainsi, pour H. Gardner, l’intelligence du corps est en fait celle d’un état mental. Cette vision centraliste entrevoit l’intelligence du corps sous l’autorité de l’activité neuronale capable, de façon autonome par rapport à la réflexion du sujet, d’offrir des stratégies de réponses spontanées et non réfléchies : « Le point commun de ces différentes formes d’intelligence, y compris l’intelligence corporelle telle que définie par Gardner, est qu’elle correspondent toutes par définition, à un état mental (…). L’intelligence du corps n’est pas celle du corps ni du geste, mais celle de l’état mental ». (Legrand, 2006, p. 132). Cette précision est importante et situe la posture cognitiviste, comportementaliste et environnementaliste de H. Gardner : « Chaque intelligence est fondée, du moins au départ, sur un potentiel biologique qui s’exprime ensuite, comme produit de l’interaction entre des facteurs génétiques et des facteurs environnementaux. » (Gardner, 2001, p. 91)

Les chercheurs spécialistes des arts offrent un autre  regard sur l’intelligence du corps. L’activité qu’ils décrivent est également non réfléchie et non pensée, mais elle est le fait d’une « manière d’être à soi » particulière. Dans ce contexte, l’activité pré-réflexive n’est pas seulement la conséquence d’une activité neuronale (activation d’une fonction naturelle), mais elle est le fruit, comme le souligne G. Csepregi, d’un sujet qui « se laisse agir » : « L’autonomie du corps peut aussi désigner, en un sens plus étroit, les gestes que nous posons sans décision volontaire ni attention consciente » (Csepregi, 2008, p. 10). Toujours selon cet auteur, une telle posture de lâcher prise de la volonté s’accompagne d’un état de bien-être et d’harmonie : « Lorsque disparaît la volonté de contrôler le corps et que le mouvement s’exécute sans effort et sans faute, nous éprouvons une merveilleuse sensation d’engagement total d’un sentiment d’harmonie et d’unité avec les différents aspects de la situation motrice. » (Csepregi, 2008, p. 175)

L’intelligence du corps développée par J. Grotowski est encore d’une autre nature : elle  résulte d’une organicité autonome, spontanée et authentique, poussée par un « flux de la vie » qui s’écoule dans le corps. Bien que non réfléchie, l’action, pour devenir un réel acte performatif, doit être saisie par une conscience active que J. Grotowski décrit comme « un niveau lucide de la spontanéité » (Grotowski, 1968). Dans cette perspective, l’acte pré-réflexif n’est pas le produit d’une intention volontaire, mais d’un phénomène qui émerge d’une activité auto-initiée sous la forme d’une impulsion : « ‘en-pulsion’ : pousser du dedans, les impulsions précèdent les actions physiques toujours. Les impulsions : c’est comme si l’action physique, encore invisible de l’extérieur, est déjà née dans le corps. » (Richards, 1995, p. 154) Les pratiques performatives de training visent à créer les conditions perceptives pour qu’émerge cette activité auto-initiée. Pour beaucoup de performeurs, nous dit M. Leão, la dimension pré-réflexive ou l’autonomie de l’expression « provient d’un mouvement intuitionné, c'est-à-dire d’un mouvement qui jaillit ‘d’un quelque part’ en amont du geste » (Leão, 2002, p. 221). Mais la difficulté, poursuit M. Leão, reste ensuite « de trouver la cohérence profonde, l’alliance extrêmement exigeante et délicate entre la subjectivité d’un flux invisible de mouvement et l’objectivité d’un acte visible » (Leão, 2002, p. 222). Pour répondre à cette exigence, cet auteur nous renvoie aux propos de D. Bois : « Le passage à l’acte est une opération délicate, nous ne sommes pas à l’abri d’un extériorisé qui s’échapperait d’un intériorisé. Un acte cinétique volontaire, tout en effort musculaire ne manquerait pas de parachever la rupture entre un mouvement invisible et la réalité d’un déplacement. » (D. Bois, cité par Leão, p. 223) Cette vision est paradoxale car elle implique « un agir » tout orienté vers « un non agir ». Il y a une volonté déployée par le sujet à ne pas être volontaire qui le conduit à la notion d’un « se laisser agir ».

  • Adaptabilité aux situations imprévisibles

L’intelligence corporelle permet de s’adapter spontanément aux situations imprévisibles. Là encore, nous retrouvons une situation paradoxale dans la mesure où l’adaptabilité spontanée s’appuie en partie sur les habitudes. D’un côté, les habitudes sont des obstacles à la créativité et de l’autre, elles lui servent de socle car elles libèrent de la charge attentionnelle liée à toute fonction motrice. Dans le prolongement de cette idée, l’habitude  contribue à l’adaptabilité, voire à la créativité lorsqu’elle est éduquée dans ce sens. Cette vision rompt avec l’idée courante de l’habitude qui verse dans l’automatisme de la répétition, pour aller vers un automatisme éduqué à saisir les émergences et la créativité. Il importe donc d’entraîner le corps à acquérir l’habitude de se laisser agir.

  • Une expressivité authentique

De l’intelligence du corps émerge l’expressivité authentique. L’expression authentique du corps mue par l’intelligence corporelle interpelle tous les acteurs, les danseurs et les chercheurs de l’art-science. Elle est même un but dans la vie, une sensation hautement supérieure pour toutes les personnes qui font l’expérience d’un corps qui se meut spontanément dans une pertinence quasi absolue. On relève de très nombreux témoignages d’expérience de danseurs, d’acteurs ou de sportifs qui parlent d’un « ‘sentiment merveilleux’ qui habite notre corps ingénieux » (Benjamin, 1987, p.121). Le dépassement de la conscience volontaire ainsi qu’une qualité de présence au corps sont les conditions de l’émergence de l’authenticité : « Notre organisme a ses performances les plus subtiles et les plus précises sans que la conscience intervienne. » (ibid, p. 121) ; ou encore : « Ce genre de défi exige une présence du corps plutôt qu’une présence de l’esprit. » (ibid, p. 121)

Ainsi, les courants esthétiques de la danse contemporaine sont à la recherche d’un mouvement pur et authentique et explorent l’intelligence physiologique du corps et du mouvement. I. Launay, citée par M. Leão, précise les conditions du performer pour accéder à cette intelligence du geste : « Par le travail de son œil intérieur, le danseur est incité à oublier les chemins habituels de son geste, pour s’affranchir de la quotidienneté et danser des mutations d’état d’âme. » (Leão, 2002, p. 31)

 

L’intelligence du corps sous l’angle de la philosophie

La philosophie s’est penchée de façon indirecte ou directe sur l’unité entre le corps et l’âme. J’ai opté pour l’étude de la pensée des auteurs les plus marquants ayant argumenté cette question à savoir R. Descartes, B. Spinoza, M. de Biran, F. Nietzsche, A. Schopenhauer et M. Merleau-Ponty.

  • Le corps et la pensée chez Descartes

R. Descartes (1596-1650) est souvent présenté, à la suite de Platon, comme l’un des fondateurs de la vision dualiste corps / esprit. Mais, puisqu’il avançait que l’âme et le corps étaient constitués de deux substances distinctes, en philosophe conséquent, il devait s’interroger sur le lien de causalité entre l’âme et le corps. Ainsi, dans Les Passions de l’Âme, R. Descartes nuance cette séparation du corps et de l’esprit en accordant une importance aux manifestations des émotions et du ressenti considérés comme parties constitutives de l’homme : « Si un pur esprit se trouvait dans un corps d’homme, au lieu d’éprouver des sentiments comme nous, il percevrait seulement des mouvements causés par les objets extérieurs – mais en cela, il se distinguerait d’un homme véritable. » (Descartes, 1994, p. 17). Ici, la séparation entre le corps et l’âme ne semble pas totalement imperméable, il n’y a pas d’un côté le corps et de l’autre l’esprit, mais une interaction entre les deux : « Les deux éléments constituent ainsi un ‘seul tout’ doué d’une très forte unité. » (ibid., p.17-18) ; ou encore : « Il est besoin de savoir que l’âme est véritablement jointe à tout le corps conjointement et qu’on ne peut pas proprement dire qu’elle soit en quelque de ses parties, à l’exclusion des autres. » (ibid., p. 88) Malgré cette prise de conscience et une réflexion poussée, R. Descartes ne parviendra jamais à comprendre clairement et distinctement comment les passions résistent à l’âme : « Nos passions ne peuvent pas aussi directement être excitées, ni ôtées par l’action de notre volonté » (ibid. p. 19). Ce constat le conduira toute sa vie à s’interroger sur la manière dont ces deux substances aussi distinctes peuvent s’influencer l’une l’autre.

Cependant, cette interrogation ne restera pas lettre morte et participera à l’élaboration de l’éthique de Descartes. Loin de faire des passions un épiphénomène, il pressent qu’à travers elles, l’homme accède à une expérience intime que chacun ressent en lui-même : « Ce que j’éprouve fait de moi quelque chose en moi ». Ou encore : « Les passions de l’âme offrent le témoignage de cette vie concrète et de cette expérience intime, chacun les sentant en soi même. » (ibid. p. 37)

  • Le corps et l’esprit chez Spinoza

B. Spinoza (1632-1677) rompt avec la dualité corps / esprit en proposant un modèle où l’âme et le corps sont une seule et même substance : « L’esprit et le corps, c’est un seul et même individu ». (Spinoza, 1954, p. 21). Pour ce philosophe, la pensée et la matière du corps sont en fait une même substance comprise sous deux attributs différents. Au rétablissement de l’équilibre entre le corps et l’esprit, Spinoza ajoute la notion de corps affecté pour désigner le corps traversé par une affection ou une modification. Il introduit alors la notion du « sentir », d’où suit que « l’homme consiste en un esprit et en un corps et que le corps humain existe comme nous le sentons » (ibid., p. 88). Puis Spinoza prolonge sa pensée en défendant l’idée d’une connivence entre le corps humain et l’esprit : « L’esprit humain ne connaît le corps humain lui-même et ne sait qu’il existe que par les idées des affections dont le corps est affecté. » (ibid., p. 108) Il précise : « Rien ne pourra arriver dans le corps qui ne soit perçu par l’esprit. » (ibid., p. 87) Cette vision constitue la clé de voûte de sa philosophie : tout ce qui résonne dans le corps, l’esprit humain le perçoit sous la forme d’une affection constituant ainsi un pont entre le corps et l’esprit, grâce auquel se forment des idées nouvelles. Ainsi, ces deux substances se potentialisent selon un mode de réciprocité dynamique : « Si l’esprit humain n’était pas capable de penser, le corps serait inerte. Si à l’inverse, le corps est inerte, l’esprit est en même temps incapable de penser. » (ibid., p. 151)

Par ailleurs, Spinoza rétablit la place de la faculté du sentir et la rehausse au même niveau que la faculté du vouloir : « Je ne vois nullement pas pourquoi la faculté de vouloir doit être dite infinie plutôt que la faculté de sentir (sentiendi) ; en effet, de même que nous pouvons avec la même faculté de vouloir affirmer une infinité de choses (l’autre après l’autre, car nous ne pouvons pas pouvoir affirmer une infinité de choses à la fois), de même aussi, avec la même faculté de sentir, nous pouvons sentir autrement dit percevoir une infinité de corps (l’un après l’autre bien entendu). » (ibid. p. 137) L’« idée adéquate » est celle qui émerge de l’association entre la faculté de vouloir et celle de sentir, la capacité à se laisser affecter participe à la capacité d’acquérir de nouvelles connaissances de soi, des autres et du monde, même si, au final, c’est toujours la faculté de vouloir qui doit avoir le dernier mot.

Il convient donc d’assigner au corps une place importance ; le négliger ou l’ignorer porterait atteinte à la personne tout autant que négliger ou ignorer l’esprit. La privation de sensations, d’affects, de sentiments, retentirait de façon négative sur le corps et sur le développement intellectuel. Dans cette mouvance de pensée, l’accès à la connaissance est en lien avec la perception du corps affecté : « Tout ce qui arrive dans le corps humain, l’esprit humain doit le percevoir. » (ibid., p. 87) Tout est donc affaire de proportion entre l’esprit et le corps, entre les idées et les affects. Une décision sera inadéquate si elle ne se référe qu’à la raison ou qu’aux affects.

  • Le corps et la conscience de soi chez Maine de Biran

Dans le paysage philosophique du XIXème siècle, Maine de Biran (1766-1824) est un philosophe à part. Sa philosophie du Moi est une philosophie du corps et du ressenti au corps : « Le corps et moi ne faisons qu’un. » (Gouhier, 1970, p. 21) Le rapport chez Maine de Biran est un fait en lien avec un référentiel d’expériences. Aucun savoir n’est ici à rechercher, la constatation d’un fait vécu et corporéisé suffit. Cette nature de relation renvoie à une présence au corps qui, selon ce philosophe, est nécessaire à la pensée elle-même : « On ne peut conclure de là que le corps ne prend aucune part à l’intellection ou à l’acte quelconque de la pensée ; et s’il n’y prenait aucune part il n’y aurait point de moi, par suite point de pensée. » (Maine de Biran, cité par Tisserand, 1939, p. 128)

Dans le prolongement de Spinoza, M. de Biran place la faculté de sentir comme manifestation première de l’être vivant. Dans l’introduction du Second Mémoire sur l’influence de l’habitude, il introduit le terme sentir comme synonyme de conscience de soi : le sentir « a été étendu par la suite à tout ce que nous pouvons éprouver, apercevoir ou connaître en nous ou hors de nous (…) en sorte qu’il est devenu synonyme de cet autre mot conscience, employé par les premiers métaphysiciens pour désigner cette sorte de vue intérieure par laquelle l’individu aperçoit ce qui se passe en lui-même » (Gouhier, 1970, p. 28). Dans cette formulation, sentir emporte l’idée d’un sujet qui s’aperçoit comme distinct de l’impression qu’il éprouve. Tout commence pour lui par un étonnement, celui de se sentir exister, « je sens que je sens » (ibid., p. 20), tel un témoin qui surplombe son expérience intérieure. 

La réflexion, chez Maine de Biran s’oppose à la réflexion classique. Il s’agit d’un mouvement conscient, spontané, sans médiation d’une activité réflexive mue par une connaissance extérieure. Ce mouvement conscient, à la condition d’un sujet qui s’aperçoit dans ses opérations, donne lieu à une connaissance intérieure, immédiate et qui émerge d’un centre organique. Cette donation est rendue possible grâce à un retour vers soi tout en préservant une distance avec la représentation initiale de l’objet (effacement des présupposés).

Dans cette perspective, le Moi ne peut se connaître que dans un rapport immédiat et corporéisé qui renvoie le sujet à lui-même sur le mode de l’évidence intérieure. Maine de Biran place l'aperception au coeur de sa philosophie qu’il définit comme la « faculté d’apercevoir » ce qui se joue dans l’intériorité. De fait, l’aperception implique une « attention à la vie » et invite le sujet à s’apercevoir agissant, percevant et pensant à la condition qu’il se dote d’une méthode et d’une procédure de pénétration de son intériorité.

  • Le corps et la volonté chez Schopenhauer

Schopenhauer (1788-1860) réhabilite la place du corps comme lieu d’accès au réel et comme moyen de mettre un terme au monde représenté qui empêche l’homme d’accéder au monde tel qu’il est. Le corps constitue pour lui, le « miracle par excellence » pour contourner l’emprise des représentations sur le rapport au monde. Il fait du corps un lieu d’expérience directe, immédiate, concrète d’une chose non déformée par les lois des représentations. Dans cette dynamique, Schopenhauer préconise deux façons distinctes de reconnaître le corps, soit par le mode de la représentation, soit par le mode de l’éprouvé – le savoir que l’on a de son corps étant une vérité philosophique par excellence – l’éprouvé constituant une voie d’accès directe à la connaissance.

Schopenhauer découvre dans le corps ce qu’il nomme la volonté, désignant par là l’essence de toute chose dans la nature et le « vouloir-vivre » non soumis aux joutes de la raison et de l’intellect qui pousse tout l’organisme à s’affirmer, à croître et à se développer. Cet auteur accède à la volonté à travers l’expérience qu’il fait du corps pour pénétrer l’énigme du monde. L’expérience du corps vécu devient alors la porte qui permet de déchirer le voile des représentations et d’accéder au monde tel qu’il est en soi. Pour cela, Schopenhauer introduit la contemplation seule capable d’accéder au réel en s’émancipant de la raison. La contemplation ici, est une attitude qui s’émancipe de la raison pour se plonger dans l’intuition pure afin d’accéder à une vision immédiate de l’idée qui se donne au cœur du vécu du corps. Il y a derrière cette dimension l’idée d’une pulsion fondamentale, d’une énergie originelle, par laquelle toute chose est ce qu’elle est.

  • Le corps vivant chez Nietzsche

Dans le prolongement des travaux de son maître Schopenhauer, Nietzsche (1844-1901) introduit le concept de corps-vivant. Nietzsche s’émeut et s’émerveille devant les capacités d’un corps doué de mémoire, d’autorégulation et d’adaptation permanente au contact de la nouveauté, qualités qui font dire au philosophe que le corps est vivant. Le Leib est pour Nietzsche un corps qui vise à l’altérité et invite à l’interaction dans le but de préserver l’équilibre d’une communauté interne dont les éléments s’affectent mutuellement au sein des états membres du corps.

La notion du « vivant » chez Nietzsche, emporte un principe d’intelligence qui s’exprime jusqu’au niveau de la cellule. Dans cette perspective, il y a un « je pense » qui émergerait de la cellule elle-même, traduisant une spontanéité intelligente et « voulante ». Cette intelligence s’exprime, dans sa manière la plus palpable, dans la capacité de reconnaître ce qui est inconnu (une puissance étrangère) et de l’intégrer selon une procédure sécuritaire de reconnaissance spontanée ne faisant pas appel à l’activité cognitive mais à l’intelligence de la cellule. La notion du « vivant » chez F. Nietzsche emporte également l’idée de la présence d’un « soi corporéisé » qui émerge de la cellule elle-même.

  • Le corps propre chez Merleau-Ponty

En s’inscrivant dans une perspective phénoménologique initiée par Husserl au début du XXème siècle, mais avec un regard qui lui est propre, Merleau-Ponty (1908-1961) reprend le terme de « chair » (le Leib de Husserl) pour marquer la différence entre corps objectif et corps subjectif (corps vécu, corps propre ou corps phénoménal). Mais sa définition va plus loin puisque la chair traduit une étoffe commune entre le corps vécu et le monde visible à partir duquel on assiste à l’ouverture au monde : « Le corps est donc ‘un être à double feuillets’ ou ‘un être en profondeur’ visible et invisible. » (Merleau-Ponty, 1964, p. 309) On comprend alors que la chair, pour Merleau-Ponty, n’est ni matière, ni esprit, ni substance, mais « le lieu de la correspondance de son dedans et de mon dehors et de mon dedans et de son dehors » (ibid., p. 179). Dans cette perspective, le sensible revêt une « doublitude » puisqu’il est entrevu « au double sens de ce qu’on sent et de ce qui se sent. » (ibid., p. 313). Pour définir cette complexité, M. Merleau-Ponty s’inscrit dans une dialectique critique des oppositions de la réflexion, entre sujet / objet, intérieur / extérieur, visible / invisible, moi / autrui et introduit le « chiasme » pour désigner « le dedans et le dehors articulé l’un à l’autre (ibid.,, p. 316).

Le « corps vécu », chez Merleau-Ponty, est rattaché à la dimension expérientielle signifiante : « Qu’il s’agisse du corps d’autrui ou de mon propre corps, je n’ai pas d’autre moyen de connaître le corps humain que de le vivre. » (ibid., p. 229) Ici, la connaissance se fonde sur l’expérience du corps et introduit la notion d’incarnation de la conscience : « Le corps est le champ primordial qui conditionne toute expérience, oui, la conscience est bien incarnée. […] C’est l’organisme tout entier dans sa structure et sa nature qui devient perceptif. » (ibid., p. 48)

Cette nature d’exploration nécessite un rapport renouvelé à la mise en sens qui fait appel à la corporalité. Avec Merleau-Ponty, on assiste à une « réhabilitation de la corporalité qui fonde notre rapport au monde comme à autrui en manifestant le primat de la perception en même temps que la signification qu’elle contient en creux. » (Merleau-Ponty, cité par Dauliach, 2001, p. 113). Cette vision nous renvoie au « cogito tacite » qui porte en lui, dans le silence de la conscience, un « logo intérieur » (pré-linguistique) et qui prend sens à la faveur de l’expression (cogito parlé). Ainsi, le « cogito tacite » fonde le « cogito parlé » au sens où « le langage présuppose bien une conscience du langage, un silence de la conscience qui enveloppe le monde parlant » (Merleau-Ponty, 1964, p. 224). Et inversement, le « cogito parlé » fonde le « cogito tacite » au sens où ce silence de la conscience « ne se pense pas encore et a besoin d’être révélé » à travers l’expression (ibid., p. 224). Cette articulation se fait à la faveur d’une expérience qui se ressaisit elle-même, et qui cherche à penser sa vérité, opération impliquant une « présence de soi à soi ». Autrement dit, le langage parlé ne peut se construire sans le contenu tacite pré-réflexif. De la même façon, le contenu tacite ne peut prendre sens sans se référer au langage parlé.

Merleau-Ponty porte donc une attention particulière au corps. Il s’intéresse à l’inclusion de l’homme dans la nature, à l’incarnation de l’esprit et à la chair de la pensée en se refusant à dissocier l’âme du corps. La relation au monde qu’il préconise s’appuie sur la perception et le sensible. Il existe, dit-il, un « double fond du sensible » qui traduit un contact entre soi et soi, un pivot sensible où s’élabore une qualité perceptive, une donnée subjective, une mémoire, une pensée et une connaissance. La modalité perceptive liée au sensible s’exerce avant toute réflexion et engage un acte d’immanence caractéristique d’une méthode qui se rapporte à une manière d’entrer en rapport avec une vérité en soi : « Percevoir, dans le plein sens du mot, qui l’oppose à imaginer, ce n’est pas juger, c’est saisir un sens immanent au sensible avant tout jugement. » (Merleau-Ponty, 1945, p. 60) Ainsi, la fonction essentielle de la perception est d’inaugurer la connaissance avant tout jugement : « Si nous nous en tenons aux phénomènes, l’unité de la chose dans la perception n’est pas construite par association, mais condition de l’association, elle précède les recoupements qui la vérifient et la déterminent, elle se précède elle-même. » (ibid., p. 40) Entrevue sous cet angle, la signification naît dans le berceau du sensible : « La perception est donc la pensée de percevoir. » (ibid., p. 63).

On comprend bien qu’une saisie consciente des phénomènes jaillissant avant tout jugement invite le sujet à s’apercevoir au cœur de l’immédiateté en demeurant ce « spectateur impartial » (ibid., p. 82) qui observe et vit le phénomène sans présupposé donnant accès à un sens spontané et organisé : « C’est la notion même de l’immédiateté qui se trouve transformée : est désormais immédiat non plus l’impression, l’objet qui ne fait qu’un avec le sujet, mais le sens, la structure, l’arrangement spontané des parties. » (ibid., p. 85) Cela implique le dépassement des préjugés du monde objectif mais aussi une réflexion pleine et totale : « La réflexion ne peut être pleine, elle ne peut être éclaircissement total de son objet si elle ne prend pas conscience d’elle-même en même temps que de ses résultats. » (ibid., p. 89)

Selon Merleau-Ponty, le sens et le ressenti sont indissociables. En effet, le ressenti est déjà habité par un sens qui lui donne une fonction et s’appuie sur une référence corporelle : « Le sentir (…) investit la qualité d’une valeur vitale, la saisit d’abord dans sa signification pour nous, par cette masse pesante qui est notre corps, et de là vient qu’il comporte toujours une référence au corps. » (ibid., p. 79)

Esquisse d’une théorie de l’intelligence sensorielle

Je suis maintenant en mesure de revenir à titre de perspective sur le mouvement théorique traitant de la question de l’intelligence, de la perception et du corps. J’ai brossé l’état des lieux de ma recherche théorique ciblée sur une argumentation qui plaide en faveur de l’existence d’une intelligence sensorielle. Au-delà de toutes les données qui apparaissent dans mon champ théorique, je relève deux éléments importants : l’unité dynamique entre le corps et l’esprit et, la fonction essentielle de la perception dans la fondation et l’inauguration de l’intelligence sensorielle.

L’unité dynamique entre le corps et l’esprit, ne pose pas problème aux plans scientifique et philosophique. Sur le plan scientifique, parmi les nombreux chercheurs qui se sont penchés sur l’unité corps-esprit, je me suis notamment référée à A. Damasio, pour qui le cerveau et le corps interagissent en permanence et pour qui la conscience n’existerait pas sans le corps et les informations venant du corps. W. James, quant à lui, souligne l’influence des modifications organiques sur la vie psychique.

Les philosophes vont également dans le sens d’une unité dynamique entre corps et esprit. C’est le cas de R. Descartes qui concède que le corps et l’esprit constituent un seul tout doué d’une très forte unité, alors que B. Spinoza considère le corps et l’esprit comme deux modes d’une même substance et souligne que sans leur association, rien n’est possible. Maine de Biran reprend cette pensée de B. Spinoza et place le Moi à l’interface du corps et de la pensée. Enfin, M. Merleau-Ponty réhabilite la corporalité dans les démarches gnosiques.

Les propos ci-dessus vont dans le sens de l’interaction entre le corps et l’esprit et sous cet éclairage, il n’est pas plus pertinent de considérer l’intelligence coupée du corps que de considérer l’intelligence du corps coupée de l’esprit. La nature pré-réflexive, autonome, spontanée et créatrice attribuée à l’intelligence du corps nous renvoie à la perception entrevue sous l’angle de la phénoménologie et du Sensible. L’accès à l’intelligence du corps implique une posture du sujet qui va dans le sens de l’émancipation du contrôle de la volonté, de la libération des présupposés et de l’ouverture aux informations internes qui se donnent avant tout jugement. La perception phénoménologique et la perception du Sensible comprennent toutes ces conditions.

La philosophie aborde les différentes figures de la perception. Ainsi, pour Spinoza la perception est une fonction de l’esprit, une idée des affections dont le corps est affecté. Pour Maine de Biran, en revanche, elle est une sorte de vue intérieure par laquelle l’individu aperçoit ce qui se passe en lui et, enfin, pour Merleau-Ponty, la perception est la « pensée de percevoir » ainsi qu’une faculté du corps dans sa totalité. On voit bien, à travers ces différents points de vue, la dimension primordiale de la perception puisqu’elle est contingente de la conscience de soi, de la connaissance de soi et dans une certaine mesure, de l’entendement.

Il est clair que l’acte de percevoir sollicite les instances les plus personnelles et les plus intimes du « sujet percevant et connaissant ». Dans cette perspective, la perception convoque la présence d’un sujet actif qui entre en réciprocité avec les phénomènes perçus, dont il est lui-même la cause. La majorité des apprenants en somato-psychopédagogie parle de présence à eux-mêmes pour définir leur implication dans leur action de percevoir. Ils décrivent le vécu d’un sentiment étrange qui leur donne l’impression qu’ils sont à la fois agissant et percevant. En discutant davantage de cette impression, les apprenants décrivent un sentiment de doublitude leur donnant accès à un « je » qui surplombe leur propre action et à un « je » qui effectue l’action elle-même. Entre cette double posture du « je », circulent des informations dans une réciprocité vectrice de significations, de décisions, et cela au cœur même de l’action. Cela conduit à considérer que la perception est constitutive simultanément du « je » qui surplombe l’acte de percevoir et du « je » qui agit dans l’instantanéité de l’information qui circule. Dans ce contexte, la perception devient synonyme de « s’apercevoir », donnant lieu à un « je me perçois pensant », « je me perçois sentant », « je me perçois percevant » et « je me perçois agissant ». Mais au-delà de la virtuosité perceptive dont font preuve les apprenants dans le toucher manuel, il apparaît clairement que la perception est associée à une mobilisation de l’intelligence de l’immédiat dans la mesure où chacun des gestes est soumis à une évaluation et à une réponse adaptée dans le vif de l’action.

Ici, la perception n’est pas seulement un acte de préhension du monde ou de soi, mais elle est une pénétration de soi dans l’action. Cela nous renvoie à la perception du Sensible qui constitue la matrice de la présence à soi, de l’habitation de son propre corps à partir de laquelle le sujet perçoit les manifestations vivantes de l’intériorité corporelle et rehausse sa capacité à saisir et à discriminer les informations internes qui se donnent dans l’immédiateté de l’acte de perception avant tout jugement. Le ressenti est déjà habité par un sens qui donne une orientation, une amplitude à la pensée qui se donne sans être réfléchie.

On retrouve là une idée chère à Merleau-Ponty pour qui percevoir, c’est saisir un sens immanent au sensible avant tout jugement, la perception devenant alors un acte de vérité. La notion de signification qui se donne avant tout jugement nous renvoie à l’activité pré-réflexive au sein de laquelle la perception saisit les phénomènes qui apparaissent dans la sphère de l’immédiateté. Même si ma préoccupation se situe dans un autre registre que celui de Merleau-Ponty, je vois dans cette saisie immédiate un support de compréhension à l’habileté perceptive et cognitive déployée par les apprenants dans le toucher de relation manuel.

La question de la perception de l’immédiateté est centrale dans ma recherche car l’apprenant travaille sur un matériau vivant, animé d’un mouvement interne qu’il lui faut suivre dans ses orientations spontanées. L’apprenant se trouve ainsi au cœur d’une immédiateté mouvante qu’il doit percevoir tout en prenant en compte les résultats immédiats déclenchés par son action de toucher. La question de l’immédiateté mérite d’être cernée car elle emporte plusieurs significations. Dans le contexte de la pratique manuelle, l’immédiateté renvoie simultanément à la temporalité du présent, à l’absence de médiation réflexive et à la donation de sens avant tout jugement et tout langage. Les recherches menées dans le cadre du Cerap[7] montrent que la faculté de saisir les différentes expressions de l’immédiateté est éducable sous certaines conditions pédagogiques que j’ai longuement développé dans ma thèse.

En définissant les contours du champ perceptif immédiat et interne qui se donne à la conscience de l’apprenant, se précise la performance perceptive qu’il doit déployer dans cette nature d’apprentissage. La pratique manuelle ne vise pas à une simple contemplation des états intérieurs du sujet, elle invite à une perception paroxystique qui doit être capable de saisir les indicateurs internes qui se donnent sous la forme d’une sensation subtile, qui s’offre à « bas régime » et qu’une perception naturaliste ne pourrait percevoir. Au fil de leur apprentissage, les apprenants découvrent la progression de leurs perceptions ; ce qu’ils percevaient de manière floue au départ devient clair et distinct. Cette évolutivité indique que la perception est éducable sous certaines conditions de mobilisation perceptive et cognitive. Le caractère éducable de la perception va en faveur d’une théorie de l’intelligence sensorielle.

Conclusion

Cette recherche est née de la rencontre avec une problématique professionnelle qui m’a conduit à interroger les actes perceptifs et mentaux sollicités dans le toucher de relation d'aide en somato-psychopédagogie. Cet article socialise l’état des lieux théorique de ma recherche doctorale ciblée sur l’intelligence du corps et sur l’intelligence sensorielle et qui s’effectue sur le terrain de la formation continue de psychopédagogues à médiation corporelle. Dans ce contexte d’apprentissage, le corps est au centre de l’intérêt éducatif et le toucher de relation manuel en est l’un des piliers. Le toucher manuel enseigné sollicite à l’évidence des stratégies perceptivo-cognitives qui mobilisent nécessairement une intelligence qu’il convient d’évaluer et de qualifier. Le déploiement de mon mouvement théorique venant de divers horizons (neuroscience, psychologie, art-science, pédagogie et philosophie) montre  le caractère fécond de l’unité corps / l’esprit et la présence d’une intelligence ancrée dans la perception du corps. À la lumière des auteurs étudiés, les différentes figures de la perception qui sont apparues ainsi que son éducabilité constituent un support théorique et pratique pertinents à partir desquels il est possible de déployer une théorie de l’intelligence sensorielle renforcée par l’état des lieux des différentes ressources mises à l’œuvre dans le toucher de relation.

Face aux enjeux portés par la mise à jour de l’intelligence sensorielle, j’ai bien conscience que ma recherche dépasse une simple problématique professionnelle réduite à l’acquisition d’une habileté manuelle dans le cadre d’une formation professionnelle. Je suis bien en face d’une problématique scientifique qui revêt une valeur universelle dans la mesure où elle inaugurerait le déploiement d’une potentialité de la nature humaine qui a peu été explorée jusqu’alors.


[1] Thèse en cours (soutenue en 2012), L’enrichissement perceptif et le déploiement de l’intelligence sensorielle en formation d’adultes, Université de Paris VIII, sous la direction de Jean Louis Le Grand.

[2] La somato-psychopédagogie est une méthode d’accompagnement psychopédagogique à médiation corporelle mise au point par Danis Bois dans les années 2000. Cette méthode utilise quatre instruments pratiques : la relation d'aide manuelle, la relation d'aide gestuelle, la relation d'aide introspective et l’entretien verbal à médiation corporelle. Pour plus d’informations, voir les livres de Danis Bois (2006) le Moi renouvelé, et d’Ève Berger : La somato-psychopédagogie : ou comment se former à l’intelligence du corps, aux éditions Point d'Appui, ainsi qu’au site : somato-psychopedagogie.com  

[3] Le toucher manuel de relation est un toucher spécifique à la fasciathérapie et à la somato-psychopédagogie qui convoque la perception à la fois du touchant, mais aussi du touché dans un but d’apprendre au sujet à enrichir la relation de présence à soi et à développer sa capacité à tirer du sens de l’expérience vécue dans l’intériorité de son corps. 

[4] Les recherches démontrent que les régions somato-sensorielles réagissent au processus du sentiment. Le cortex somato-sensoriel, l’insula S2 et S1, le cortex cingulaire sont aussi mobilisés par le sentiment.

[5] Le sens proprioceptif a été intuitionné par certains philosophes dont A. Destutt de Tracy, Maine de Biran et a été découvert expérimentalement par Sherrington en 1890 dans ses supports anatomiques et physiologiques.

[6] Le lecteur désirant approfondir la question des tests d’évaluation de l’IE peut consulter le rapport de Stys Y. & Brown S.-L., Étude de la documentation sur l’intelligence émotionnelle et ses conséquences en milieu correctionnel, Direction de la Recherche, Service Correctionnel du Canada, mars 2004, disponible sur internet à www.csc-scc.gc.ca/text/rsrch/reports/r150/r150_f.pdf  

[7] Centre de Recherche Appliquée en psychopédagogie perceptive : www.cerap.org

Hélène Bourhis

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La revue "Réciprocités"

Cet article est issu de notre revue :

Numéro 05 - Exploration des potentialités humaines

Deux parties dans ce numéro, l'une est consacrée à l'exploration des potentialités humaines, l'autre est une tribune donnée à quatre chercheurs brésiliens

Hélène Bourhis présente les premiers résultats de sa recherche doctorale sur l'intelligence sensorielle et les prémices d'une d'une théorisation

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