Corps sensible et transformation en somato-psychopédagogie

Beauté en devenir (c) ImAges ImprObables
Auteur(s) :

Patrick Large

Le but de cette recherche était d’appréhender la transformation en lien avec le corps sensible et de mieux la comprendre, parce que même si la somato-psychopédagogie partage beaucoup d’outils communs avec d’autres approches de croissance et de transformation, elle porte en elle une spécificité, qui est le travail en lien avec le Sensible. Pour se faire une première idée des contours de ce type de transformation, après avoir approfondi certains concepts de la somato-psychopédagogie en relation avec la transformation par le corps sensible, nous avons fait le choix de présenter le vécu de trois praticiens-enseignants en somato-psychopédagogie. Nous avons effectué un entretien de recherche avec chacun d’eux, dans les conditions d’exigence du Sensible, c’est à dire après un accordage somato-psychique et en réciprocité actuante, puis nous avons réalisé une analyse qualitative de leur témoignages, et plus précisément une analyse thématique.

Cette recherche a été très formatrice pour nous car nous avons dû apprendre au cours de ce travail toutes les étapes de l’analyse qualitative, et discerner celle-ci de la recherche positiviste. Il a fallu allier suffisamment d’ouverture pour pouvoir interroger la subjectivité de nos participants tout en conservant des critères de rigueur. Il en a été de même dans l’exploitation des données et leur analyse thématique. Nous avons abondamment détaillé le journal de thématisation dans le corps du mémoire et dans les annexes. Ceci a eu deux incidences, d’abord de permettre de dérouler notre propre raisonnement et a l’instar du concept de modifiabilité perceptivo-cognitive de faciliter en nous une auto-transformation. La seconde conséquence est que cela a permis de constituer un exemple, ou un modèle de processus pour tout chercheur débutant s’intéressant à l’analyse thématique. Ce n’est bien sûr qu’une approche de cette analyse, mais qui peut rendre service comme point de départ.

Notre propre subjectivité a été concernée. La pratique impliquée de notre posture heuristique s’est retrouvée à plusieurs reprises le long de ce mémoire, commençant par la description de l’évolution de notre pratique professionnelle, passant par l’auto-transformation due à l’élaboration des thèmes, et aboutissant au choix de rubriques du Sensible pour constituer un nouveau type de thématisation que nous avons appelé l’arborisation thématique sensorielle semilibre. Celle-ci consiste à garder la relation au Sensible pendant le travail de thématisation et suivre ses indications sensorielles soit avant dans la détermination de grandes rubriques, soit 126 pendant le choix des thèmes eux-mêmes. L’analyse thématique a été transformatrice pour moi, dans l’exercice de générer des thèmes pertinents avec un bon niveau de généralité et une bonne validité d’inférence, c’est à dire une inférence de faible ou moyen niveau. L’enjeu était d’être capable de synthétiser les propos en respectant la correspondance avec leur réalité, et commencer à les faire parler tout en restant le plus possible phénoménologique pour éviter de les interpréter. Comme le dit Jean Klein « Quand vous n’êtes qu’admiration sans interprétation, vous percevez entre l’observateur et l’observé, tout un espace de silence, de tranquillité où vous êtes totalement présent. »

Les résultats ont d’abord été présentés sous la forme de récits de thèmes pour chacun des participants montrant à la fois l’ensemble des thèmes qui ont été générés et l’ambiance des témoignages. La présentation de ces récits a permis de répondre à notre premier objectif qui était de colliger des expériences de transformation chez des praticiens expérimentés et enseignants en somato-psychopédagogie. Ensuite, afin de clarifier la nature de la transformation mise en jeu dans la rencontre au corps sensible, et de mieux comprendre le fonctionnement de la transformation, les processus à l’œuvre et en particulier la transformation par le Sensible, nous avons élaborés deux arbres thématiques : un sur le Corps sensible (p103) et un sur la Transformation en lien avec le corps sensible (p104 et 105). Ils donnent une vision plus synthétique du phénomène étudié, car ces arbres regroupent les résultats des trois témoignages et sont constitués de regroupements thématiques.

Suite à nos travaux, nous avons déduit une vision sur la transformation en lien avec le corps sensible : c’est un éveil paroxystique réversible, progressif et continu ; une évolution naturelle emmenant un moi renouvelé dans une globalité transcendante et inclusive ; un apprentissage par contraste, immanent, additionnel, expérientiel et existentiel.

Nous avons pu aussi élaborer une approche processuelle de la transformation en somato-psychopédagogie comprenant sept étapes :

  • Entrer en rapport de conscience avec soi ;
  • Rencontrer le Sensible ;
  • Naître à soi-même, se laisser aimer et guider ;
  • Vivre intérieurement d’autres possibles ;
  • Apprendre de ces possibles ou de notre réaction à ces possibles ;
  • Capter du sens pour notre vie, ou le sens de la vie ;
  • Exprimer notre moi renouvelé, aimer et continuer de grandir.

Nous avons établi 5 niveaux de transformation :

  • le processus global en 7 étapes
  • atteindre le plus haut niveau de réalisation de soi
  • mais aussi sauter d’une étape à une autre
  • et aussi vivre une expérience paroxystique à l’intérieur d’une étape
  • mais c’est avant tout un changement de rapport dans une attitude d’ouverture permettant d’évoluer dans une étape ou un saut d’étape.

Ainsi le coeur de la transformation est avant tout le changement de rapport obtenu en entrant en relation de conscience avec ce qui est, grâce à notre Sensible. Donc ce qui compte c’est la relation que nous établissons. Pour Linus Pauling, lauréat des prix Nobel de chimie et de la paix, « la vie ne réside pas dans les molécules mais dans les relations qui s’établissent entre elles ». Ce changement de rapport peut lui aussi s’effectuer à plusieurs niveaux : d’abord le changement de lucidité, où il s’agit de transformer des représentations pour passer de l’idée que l’on a sur soi à un réalisme sur soi ; puis le changement de comportement, où il y a des représentations à transformer parce que l’on change ; et enfin le changement de regard sur soi suite au changement de comportement où l’enjeu est de transformer la représentation que l’on avait sur soi.

Ensuite le processus évolutif de la vie prend de l’expansion tout naturellement et grandit. « Ce changement était la réalité, et être la réalité c’était être ce changement, sans décalage. C’était être un avec le mouvement de la vie. » (Amar 2005, p25). Ainsi nous pouvons rentrer dans la « vie pleine » de Rogers (1998, pp 132-136) : avec une ouverture accrue à l’expérience, une vie existentielle accrue, une confiance accrue dans son organisme et un processus d’un fonctionnement plus complet. Nous pouvons aller encore plus loin dans l’évolution humaine ; Josso (2007, p14) met dans la transformation de la conscience la réalisation de l’humain : « C’est cette transformation conscientielle permanente qui constitue ma proposition de définition de l’accomplissement de l’être humain». La réalisation pour Rugira, c’est aussi être dépouillé de tout ce qui empêche la transparence de l’être.

Aujourd’hui, après ces deux ans de travail sur le Mestrado, j’ai cessé mon activité de Médecin et me consacre à l’accompagnement du déploiement de l’être par la psychopédagogie perceptive. Heidegger nous a mis en garde de distinguer l’être de l’étant, et il a proposé l’ouverture à l’être à partir de l’étant, de ce qui est. C’est ce que nous avons décrit tout au long de ce mémoire, et cela constitue la première étape de notre spirale de transformation. Il ne s’agit plus seulement de rencontrer l’être mais de grandir avec lui, le laisser réaliser son expansion à travers nous. En fait nous ne savons pas vraiment si l’être grandit ou pas, mais notre rapport à l’être grandit et notre capacité à nous tenir dans le lieu de notre relation à l’être grandit. Cet être et cette vie qui font UN, se déploient en nous, en expérimentant la vie à travers nous. La somato-psychopédagogie est une démarche organisée vers l’être. Son point fort c’est la pédagogie, et l’apprentissage de l’autonomie. Le sujet a un corps animé par le Mouvement interne et il a conscience du Mouvement dans son propre corps. La personne peut entrer en relation de conscience avec ce qui anime son corps, à partir de là elle peut poser des questions à son corps sensible et modeler sa vie à partir de son corps sensible. Le corps devient sensible quand on a un rapport au Sensible. C’est à partir du moment où les gens ont conscience du Sensible, qu’il y a transformation. Un corps sensible est un corps qui perçoit. Il perçoit grâce au Sensible, qui est la Conscience consciente d’elle-même, et dont le Mouvement est autonome. Le corps sensible accompagne la personne dans sa vie. Ce qui la fait grandir c’est qu’elle apprend, de plus en plus, de son corps sensible et en tire de l’information pour se laisser guider dans la vie.

Extrait de la Conclusion du mémoire pp. 125-128

Patrick Large

Informations de publication: 
Université Moderne de Lisbonne

Sources: 

AMAR Y. (2005), L’Effort et la Grâce, Albin Michel

JOSSO M.-C. (2007), Histoire de vie et visages de l’accomplissement, Congrès International de Somato-Psychopédagogie, Vers l’accomplissement de l’être humain Soin, croissance et formation. Athènes 18 au 21 Mai 2007.

ROGERS C. R. (1998), Le développement de la Personne, Dunod.

Téléchargements: 

 

Corps sensible et transformation en somato-psychopédagogie

Par Large, P.
2007
Master 2 (Mestrado)
Université Moderne de Lisbonne
Psychopédagogie Perceptive