L’éprouvé de soi: un socle pour l’estime de soi

Eprouvé de soi et Estime de soi
Auteur(s) :

Jacques Hillion - Doctorant en sciences sociales de l'université de Sherbrooke canada

L’estime de soi est un thème d’actualité. C’est aussi, semble-t-il, un terme importé. Si des notions comme l’amour propre (La Rochefoucauld) ou l’amour de soi (Rousseau) sont assez anciennes dans la littérature française, le terme « estime de soi » y est d’apparition très récente. Il est plus ancien et plus naturel dans le monde anglo-saxon (James) — dont il a gardé certains traits de caractère — que dans notre univers de latins. Son apparente simplicité en fait un concept séduisant, à même d’être compris et utilisé par un large public. Seulement voilà, ainsi que le souligne Billeter (2006 : 54) : « En vertu de la croyance naïve que chaque mot renvoie à une chose, nous partons à la recherche de la chose à laquelle ils correspondent. »

Or précisément, il semble bien que le terme estime de soi ne renvoie pas à une, mais à plusieurs choses.

Je m’attacherai donc, dans un premier temps, à mieux définir et cerner ce qu’est l’estime de soi. Nous verrons, effectivement, que sa définition même renferme un certain paradoxe, que l’on retrouve en tentant de rassembler ce qui constitue et contribue à faire évoluer l’estime de soi. Celle-ci comporte notamment deux versants ; l’un se rapporte à une évaluation de soi-même, tandis que l’autre évoque l’amour de soi. Et certaine littérature diffuse mille recettes pour se sentir mieux dans un monde meilleur, sans se soucier de savoir si ces deux versants de l’estime de soi peuvent, ou doivent, être corrélés entre eux.

Mon expérience de praticien et de formateur en somato-psychopédagogie me conduit alors à proposer, en amont de ce schéma de l’estime de soi, le socle théorique et pratique, moins classique, d’un « éprouvé de soi ». J’en présenterai ici les bases et nous verrons en quoi cette notion peut soutenir l’estime de soi, voire s’y substituer dans certaines conditions.

L’éprouvé de soi recouvre tout à la fois une perception de soi opérée spécifiquement sur le mode du Sensible et le type de connaissance de soi qui en émerge. Il définit ainsi un nouveau type de rapport à soi qui s’affranchit partiellement du versant évaluatif de l’estime de soi et de la notion de renforcement qui lui est quasi systématiquement associée. Davantage ancré dans un contact direct avec le réel, ce rapport à soi qu’est l’éprouvé se renouvelle au fil des expériences et nous ramène en droite ligne à la notion de formation de la personne. Nous verrons alors, comment estime de soi et formation de la personne peuvent s’articuler dans un sens qui n’est peut-être pas le plus spontanément envisagé.

L'estime de soi

Définitions

C’est James, en 1890, qui évoque la notion d’estime de soi : il la définit comme le rapport entre nos réussites et nos attentes, entre notre réalité et nos aspirations. James établit ce rapport pour souligner le caractère subjectif de l’estime de soi : celle-ci dépend de nos succès, mais aussi de l’ampleur de nos attentes (tel sportif se montrera déçu d’une médaille d’argent là où un autre sera comblé par une médaille de bronze…). L’estime de soi est donc une évaluation individuelle de la divergence entre l’image de soi et le soi idéal (Lawrence, 1988). Dans le prolongement de cette définition, M. Larivey définit l’estime de soi comme « le résultat d’une auto-évaluation » (Larivey, 2002 : 2). Elle la qualifie de « baromètre révélant dans quelle mesure nous vivons en concordance avec nos valeurs » (Ibid., p. 2).

Lelord et André (2002 : 12), dans leur ouvrage de référence sur le sujet, font eux appel à une définition qui leur fut fournie par un adolescent : « L’estime de soi ? Eh bien, c’est comment on se voit et si ce qu’on voit on l’aime ou pas. »

De fait, le mot estime lui-même renvoie à une double notion : une notion d’évaluation et une notion plus affective, de sentiment favorable. On voit bien ici qu’il y a déjà deux paramètres fort différents à prendre en compte et que, regrouper ces deux aspects sous un seul vocable réclame une certaine vigilance dans son utilisation. Mais concrètement, de quoi est faite l’estime de soi ?

Constitution

Le mot constitution évoque tout à la fois la composition de l’estime de soi et sa gestation, son avènement. Voyons d’abord ce qui la compose. Il existe maintes façons de l’aborder. Ainsi, Lawrence (1988) colle à sa définition : il envisage l’estime de soi comme la divergence entre l’image de soi, évaluation de ses compétences et le soi idéal, ce qu’on aimerait être.

D’autres auteurs optent pour une vision plus détaillée. G. Duclos (2004), par exemple, la décompose en une connaissance de soi, un sentiment de confiance, un sentiment d’appartenance et un sentiment de compétence. Les termes connaissance et sentiment évoquent bien les deux pôles — évaluation de soi et affection pour soi  — de l’estime de soi.

Lelord et André (2002) proposent quant à eux une répartition différente de ces deux pôles, où le critère affectif est directement nommé. Ils lui attribuent trois ingrédients qu’ils nomment « piliers » : la confiance en soi, la vision de soi et l’amour de soi.

Quant à ce qui fait advenir l’estime de soi, il est difficile de le résumer tant les interactions sont multiples, silencieuses et prolongées dans le temps ; aussi me contenterai-je d’en donner quelques grandes lignes. L’estime de soi s’élabore très tôt, dans notre friction au monde, nos actes et nos relations. Par exemple, l’image de nous-même qui nous est renvoyée, les modèles qui nous sont proposés, vont influencer la constitution de l’estime de soi. Une image dévalorisée ne favorisera évidemment pas une forte estime de soi, mais inversement, une image trop flatteuse, non réaliste, peut provoquer ultérieurement, par une désillusion brutale, une perte de confiance et d’estime de soi…

Disons de manière schématique, qu’un climat de confiance, des repères cohérents, des modèles équilibrés et accessibles, avec la sensation d’être validé par ceux-ci, un encouragement et une affection inconditionnels — surtout dans le rapport à l’échec — sont des éléments qui favorisent l’estime de soi. Mais ceci n’explique pas tout et s’y ajoute un facteur subjectif d’appréciation individuelle de tout cela et de soi-même (Lelord & André, 2002 ; Laporte & Sévigny, 1993).

En m’appuyant sur les trois piliers que sont vision de soi, confiance en soi et amour de soi, je voudrais souligner ici quelques aspects cruciaux de l’estime de soi. Ainsi, la vision de soi et la confiance en soi relèvent plus ou moins d’une estimation de ses propres capacités et — point important — de leur adéquation avec le milieu où elles doivent s’exercer. Cette estimation, éminemment subjective, est fluctuante selon les expériences et les interactions du sujet avec son milieu, avec ce que celui-ci lui renvoie (« moi-miroir »).

Ces deux éléments appellent donc un regard sur soi qui s’apparente à un jugement sur soi, qu’il soit fondé ou non. Ils subissent en permanence d’importantes et insidieuses influences externes, elles-mêmes référées à un modèle de performance et de réussite, d’abord scolaire puis économique, plutôt qu’à un modèle humain.

L’amour de soi, à l’inverse, est détaché de toute évaluation de soi, il ne pose aucune condition. Il dépend beaucoup de la façon dont nous avons été aimés et si justement nous avons été aimés sans condition. Cet ingrédient est important, car : « Il explique que nous puissions résister à l’adversité et nous reconstruire après un échec » (Lelord, André, 2002 : 14). Ce côté inconditionnel qui étaye le véritable amour de soi en est un aspect essentiel, mais parfois négligé dans les démarches de développement de l’estime de soi.

Quelques réflexions

D’une manière générale, on considère que l’estime de soi doit être élevée, et de nombreuses démarches de croissance personnelle visent d’emblée un renforcement de l’estime de soi. L’estime de soi se nourrit du sentiment d’être compétent et du sentiment d’être aimé. Et bien souvent, malgré quelques précautions d’usage, on finit par corréler les deux, alors que l’amour de soi se doit d’être inconditionnel, là où le sentiment de compétence dépend des succès rencontrés.

Mais une estime de soi élevée n’est pas une panacée. Dans certains cas, elle peut, par exemple, s’avérer source d’inertie, d’évitement de l’action, par peur d’un échec qui viendrait la malmener. Ce que j’avais tenté de souligner en ces termes dans mon ouvrage sur les difficultés de mise en action (Hillion, 2006) : Une apparente aisance ou une dévalorisation subtile ne sont souvent que deux expressions d’un même terrain sous-jacent : une estime de soi élevée mais fragile, un esprit d’entreprise trop inquiet pour se donner les moyens de ses ambitions. 

Inversement, dans un climat de confiance où ne prime pas la concurrence, une basse estime de soi présente des atouts. Par exemple, « les personnes à basse estime de soi tiennent davantage compte des conseils qui leur sont prodigués. Ce faisant, elles améliorent leur performance » (Lelord, André, 2002 : 55).

Ceci nous rappelle par ailleurs que l’impact de l’estime de soi dépend aussi grandement du contexte dans lequel on est appelé à évoluer.

Au final, il semble que l’estime de soi fournisse une excellente grille de lecture et de compréhension de notre rapport au monde et à l’action. En revanche, en faire un projet en soi sans tenir compte du paradoxe qu’elle constitue est risqué. Sans doute, vaut-il mieux aborder l’estime de soi en cherchant d’abord à limiter la dictature du moi idéal et viser une connaissance de soi plus authentique, moins sujette à projections et à jugements. L’éprouvé nous fournit une voie de passage en ce sens.

L’éprouvé de soi

La perception du Sensible

Certains auteurs définissent un « sentiment de soi », qui s’appuie sur la proprioception , « ancrage organique de l’identité » (Roll, 1994), sur le toucher, ainsi que sur la biologie des viscères et du sang (Damasio, 2002). Cette sensation de soi est réputée inconsciente. Bois (1990) ajoute à ces éléments, la perception d’un « mouvement interne » . Dans ce contexte, la perception du Sensible se définit comme une perception de soi par le média de ce mouvement interne. Cette perception est, cette fois, consciente ou du moins conscientisable. Son premier atout est d’être éducable, de permettre l’acquisition d’un nouveau mode de rapport à soi.

Elle génère d’abord un sentiment d’existence fort, prégnant, incarné : « elle nous offre à vivre la densité — la substance, pourrait-on dire — de notre présence [...] » (Berger, 2006 : 35).
C’est aussi l’expérience d’un nouveau type de rapport à soi et, par prolongement, au monde : « Ainsi, ralentissements de rythmes, modifications d’orientations ou d’amplitudes de certains trajets du mouvement interne sont significatifs de la manière dont le corps et le sujet sont affectés par l’expérience en cours. Ils peuvent même devenir, à la condition de se former à leur « lecture », de véritables informations intelligibles, voire des « réponses » que le corps fournit face à une situation, au-delà ou en amont d’une réflexion volontaire menée par la personne à propos de cette même situation » (Berger, Bois, 2008 : 98).

On le voit, ce rapport à soi présente quelque chose d’immédiat, de direct. La perception du Sensible est un outil inhabituel mais simple de relation au réel. Dépouillée et non jugeante, elle alimente une image de soi plus directe, moins tributaire de nos a priori, qui accentue et prolonge l’ancrage corporel de l’image de soi, du sentiment de soi.
Rappelons que ce sentiment de soi, éprouvé, est avant tout d’ordre perceptif, c'est-à-dire qu’il n’intègre aucun critère de performance. De plus, par le goût de soi qu’il véhicule, il nourrit l’amour de soi

Une expérience « existentielle »

Je reprends ici ce terme de Josso (1991 : 197), pour qui l’expérience existentielle « concerne le tout de la personne, elle concerne son identité profonde, la façon dont elle se vit comme être [...]. »
C’est bien le cas pour la perception du Sensible, du fait même du degré d’implication éprouvé, mais aussi parce que c’est une expérience où : « Il s’agit, ni plus ni moins, que d’apprendre à laisser ses opinions, ses allants de soi, ses jugements de valeurs, être interrogés de l’intérieur par une expérience qui, de plein droit, prend valeur d’accès au savoir » (Berger, 2005 : 60).
La matière du corps devient tout à la fois le lieu de l’expérience et l’outil perceptif qui la capte ; le corps s’affiche comme un organe renouvelé de rapport au monde : « La nouvelle manière d’être à son corps devient une nouvelle manière d’être à soi et au monde » (Bois, 2007 : 342).

On le voit, la perception du Sensible offre un mode de rapport à soi des plus directs. La nature de connaissance de soi qui en découle, tout en revendiquant pleinement sa subjectivité et sa singularité, est elle aussi plus directe, moins inféodée aux événements extérieurs et aux filtres auxquels je les soumets. Issue de ma propre intériorité, elle ne se livre plus tant sous la forme d’une dualité échecs/succès, que sous celle d’une palette unique de nuances perceptives.
En résumé, il apparaît donc que l’éprouvé de soi par la perception du Sensible fournit à l’estime de soi un socle corporel supplémentaire intéressant, par un goût de soi solide et une connaissance renouvelée de soi. Mais son intérêt principal ne réside finalement pas là si on le considère à l’aune de la formation de la personne.

Éprouvé de soi et formation de la personne

Perception du Sensible et représentations

Comme je l’ai indiqué plus haut, les manifestations du mouvement interne fournissent toute une palette d’informations qui me renseignent de manière épurée sur moi-même, c'est-à-dire sur ce que j’éprouve. Pas ce que je pense, ni ce que je crois, ni même l’émotion qui m’habite, mais ce qui, dans mon corps, est mobilisé, concerné et affecté — au sens modifié — par ce que je suis en train de vivre. Cette modification de l’état du corps que je saisis par le biais du mouvement interne et de ses effets me fournit des informations « à ajouter à celles habituellement recrutées pour faire un choix, prendre une décision, mener une réflexion ou encore s’orienter dans les chemins de l’existence » (Berger, Bois, 2008 : 98).
Les recherches de Bois (2007 : 324) montrent que l’expérience du Sensible enrichissent en premier lieu les représentations liées au « rapport perceptif ». Pour certains, le simple fait d’envisager le corps comme source d’informations est déjà un renouvellement radical.
Ensuite, les expériences vécues apportent progressivement des modifications des représentations liées « aux idées », « à des  valeurs » ou encore « à l’image de soi » (Ibidem, p. 320-322). Par exemple, une représentation initiale telle que : « Pour que les choses aient un sens, elles doivent répondre à un objectif clairement identifié sous la forme d’un projet concret, défini pour le futur. (V1  : l. 7-9) » se transforme et devient : « … l’enjeu de ce que je fais n’est pas nécessairement dans ce que j’obtiens, mais peut se situer également dans ce que je mets, j’investis de moi. (V1 : l. 76-78) » ou encore : « … j’ai eu la sensation qu’il était possible, pour l’avoir expérimenté, d’avancer non pas vers un but (la forme) mais à partir d’une attitude (qualité de présence, recherche de la justesse). (V1 : l. 307-309) » (Ibidem, p. 321).
Cette transformation s’effectue selon différentes étapes, mais notamment à travers une « connaissance par contraste » (Bois, 2007) : l’expérience vécue vient renouveler et donc questionner mes représentations. C’est le vécu nouveau qui, par contraste, me fait prendre conscience de mes modes de fonctionnement antérieurs.

Estime de soi et formation de soi : une inversion de perspective

Parce qu’il prend sens pour moi, le mouvement interne m’invite aussi à devenir, ou plus exactement à incarner ce que je suis devenu. Selon Josso (2008 : 28) : « Il s’agit, en prenant grand soin d’être rigoureux dans les observations faites [...] dans l’expérience du Sensible, puis dans la vie quotidienne, de préserver la fluidité du mouvement interne et d’être à l’écoute d’une intentionnalité qui se révèle dans cette mise en mouvement. » Il ne s’agit plus tant de découvrir qui l’on est, mais davantage encore d’incarner au plus juste cette part renouvelée de soi. Autrement dit, « être ce que l’on devient » (Bois, 2007) et, ainsi, s’adapter sans cesse à une réalité par essence mouvante.
En fait, il est même judicieux d’inverser le questionnement initial. Si l’estime de soi présente un intérêt non négligeable en éducation en tant que grille de lecture et d’appréciation des impacts du geste éducatif — ainsi que le montrent par exemple les travaux de Duclos (2004) ou Laporte (1993) —, le processus de transformation initié par la perception du Sensible nous offre un autre angle d’approche du lien entre estime de soi et formation de la personne.

Là où l’estime de soi conditionne la mise en action sur la base d’une confiance en mes capacités, l’éprouvé m’invite simplement à actualiser ce que je suis devenu. On s’éloigne alors de l’estime de soi en ce qu’elle véhicule souvent de valeur, voire de nécessité de renforcement : priorité est donnée à un sentiment d’existence ayant force d’évidence, à une connaissance de soi ancrée dans la réalité. Moins dépendant d’une estime de soi qui est en partie une estimation, on découvre une réalité de soi qui est aussi une réalisation.
En effet, la plupart de nos actes visent un résultat prédéfini et, en cas d’échec, l’estime de soi vacille. Mais si le projet est le processus de transformation lui-même, la notion même d’échec est remise en question. Car dans ce cas, la nature de la réussite change ; aboutir à un résultat différent de celui qui était attendu n’est plus synonyme d’échec, dès lors que ce résultat inattendu et le processus qui a mené à ce résultat nous apprennent quelque chose, dès lors que nous en avons pris acte et tiré un enseignement.
Dans cette perspective, l’estime de soi n’est plus une condition préalable ou un facteur favorisant la formation, c’est la formation de soi qui vient transformer l’estime de soi. Pas seulement l’alimenter, mais bien la transformer ; car alors l’estime de soi ne se rapporte plus à des contenus (des compétences en place, par exemple), mais au mouvement de soi, au fait même qu’il y a croissance, que l’on vit l’expérience comme formatrice et transformatrice.

L’éprouvé, connaissance de soi et estime pour soi

L’estime de soi est une divergence, un écart. La distance qui sépare ce que je suis de ce que je voudrais être. Cette distance, suis-je à même de la combler ? Et comment devrais-je le faire ?    En essayant par volonté d’être autre que ce que je suis, comme dans tant de recettes de développement personnel ? Cela me semble une stratégie coûteuse et incertaine…
En revanche, le « ce que je suis » n’est pas une donnée immobile ou définitive. En posant mon attention sur cette donnée, je ne tente pas de la transformer par mes actes, je prends acte de la transformation qui s’effectue. L’attention est la voie de passage qui me soustrait à la dictature d’un moi idéal pour me réinscrire dans un projet de création de moi-même : « L’attention extrême est ce qui constitue dans l’homme la faculté créatrice » (Weil, 1948 : 119).
La perception du Sensible me fournit un média opportun pour guider et soutenir cette attention envers moi-même, ou plus exactement cette attention envers le changeant de moi-même. Elle concrétise une formation de soi et les outils pour prendre acte à la fois de cette formation et du renouvellement de soi qu’elle induit. Ce faisant, elle soustrait l’estime de soi à sa fonction de préalable pour en faire le fruit même de la formation. Bien sûr, la perception du Sensible est rarement spontanée, elle demande le plus souvent d’être apprivoisée, éduquée. Mais au-delà d’une nature d’éprouvé, elle propose aussi une posture privilégiant la transformation de la personne plutôt que son « estimation ».
L’estime de soi, alors, n’est plus basée sur l’évaluation de mes compétences, mais sur le mouvement de moi-même, sur le goût même de mon devenir en train de s’accomplir. Je ne vise pas un changement au risque de la déception ou de l’échec, je prends acte d’un changement qui, par contraste me révèle ce que je ne suis déjà plus. Et c’est pour ce changement que j’ai de l’estime.


[1] La proprioception est la perception de soi-même. Sens à part entière, elle repose sur de petits capteurs sensoriels, disséminés dans le corps, qui nous indiquent en permanence nos positions dans l’espace, la vitesse et l’amplitude de nos mouvements.

[2] Il s’agit ici du mouvement interne utilisé en fasciathérapie, plus lent et plus propice à un rapport qualitatif que le mouvement interne utilisé en ostéopathie.

[3] V1 est le code qui désigne un des participants à la recherche de D. Bois

Jacques Hillion

Informations de publication: 
in Marie-Anne Mallet (Dir.) Estime de soi et formation. Chemin de formation n°14,

Sources: 

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Bois, D. (2007). Le corps sensible et la transformation des représentations chez l’adulte. Université de Séville, thèse de doctorat

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